THE UNSEELIE BLACK-SMITH ∭ Néné, l'Omnivore qui dévore tout, même ta main.
Blodwyn E. Tyronoe
Sujet: A song of death and fire || Tana Dim 14 Aoû - 18:24
a song of death and fire
ft. Credne Cerd & Thanatos.
Forgeronne du Sithin Unseelie, guerrière, ancienne Tuatha, Sidhe, n’en déplaise à ceux qui l’auraient croisée en cette seconde toute vêtue de cuir usé et de baudriers pour ses lames : on pouvait être tout cela et s’amuser pourtant pour un rien comme une gamine sur le chemin de terre menant au domaine de Scáthach. C’est que les circonstances étaient plutôt drôles : une île, encore, irlandaise, cette fois, et son amie, au bout du chemin, que Credne avait décidé d’aller voir. Quand on était immortel on avait tendance à ne pas vraiment entretenir ses relations parce qu’on savait qu’un jour ou l’autre on recroiserait les personnes qui font partie de sa vie. Les au revoir devenaient des adieux à l’aune d’une vie humaine tant parfois, il pouvait s’écouler des siècles entre deux retrouvailles, mais c’était ainsi qu’ils vivaient tous, dans une indolence confortable face au temps qui n’avait pas d’emprise sur eux. Credne savait que Scáthach, elle savait qu’elle possédait un haras et trépignait depuis un moment d’aller admirer ses chevaux. Elle avait adoré et admiré ses bêtes sur l’île de Skye déjà, en avait croisé plus que son compte sur les champs de bataille et ne doutait pas que la guerrière avait réitéré l’exploit ici, sur Ellan Vannin. Peut-être Scáthach accepterait-elle-même de lui vendre une de ses montures ? Et bien sûr, la forgeronne mourrait d’envie de voir leurs fers, leurs selles, leur harnachement. La vie continuait, après tout, malgré les menaces et les dangers qui pesaient sur le Songe tout entier. En d’autres temps, elle aurait peut-être même affiché ostensiblement son épée et proposé à Scáthach un duel, comme au bon vieux temps, mais ce temps-là, justement, avait fait long feu, et les chevaux de la belle l’intéressaient bien plus que l’idée de se mesurer de nouveau à l’immense guerrière qu’elle était.
En arrivant sur le domaine, elle marqua une pause pour observer les lieux : vastes terres vertes et fertiles, légèrement vallonnées par endroits, la perfection pour des cheveux. Elle en vit au loin qui galopaient en toute liberté, tandis que, plus prés d’elle, s’élevaient quelques bâtiments et plusieurs pistes et terrains de dressage et d’entraînement. Son regard accrocha aussitôt une silhouette solitaire qui se tenait au bord d’une des pistes où s’ébattaient quelques chevaux, et Credne se douta que Scáthach n’était pas là. Elle s’avança cependant, à la rencontre de cette personne – pouvait-on être de mauvaise compagnie si on aimait les cheveux au point de rester là des heures à les admirer ? Certes non… Curieuse impression de déjà vu cependant à mesure qu’elle approchait, alors que les contours de la silhouette se faisaient plus précis. De longs cheveux d’un noir de jais aux reflets bleutés, une peau nacrée qui semblait accrocher les rayons du pâle soleil irlandais… Ne serait-ce que la taille et la carrure, c’est Cenn qui aurait pu se trouver là, mais Credne savait que ce n’était pas lui et mécaniquement, elle sut alors aussitôt à qui elle avait affaire, car cette impression, elle l’avait déjà ressentie, avec plus d’intensité encore, dans des circonstances très différentes. Et puis il y avait la pointe de ses cheveux, argentée, comme les siens étaient d’un doré très pâle comme la pointe d’une flamme… Elle s’autorisa un sourire. Les retrouvailles incongrues, décidément…
Elle s’approcha d’un pas léger mais sans chercher à se cacher non plus, pour ne pas la prendre par surprise. Elle l’avait vue à l’œuvre sur un champ de bataille, savait de quoi elle était capable. Elle lui avait même sauvé la vie, probablement. Il s’agissait là de choses que l’on n’oubliait pas. Et Credne n’avait jamais oublié Tana – par quel nom se faisait-elle appeler aujourd’hui ? – tant elle avait cru voir, en la regardant faire des ravages dans le camp ennemi, Crom Cruach en personne, le dieu de la Mort. Credne voulait bien croire que ce genre de hasard existait. Mais dans ce cas précis, elle avait encore bien du mal à s’y faire. Elle arriva finalement au niveau de Thanatos, la salua d’un sourire.
— J’étais venue retrouver une vieille connaissance et je tombe finalement sur une tout autre amie. Bonjour, Thanatos.
On oubliait, quand on vivait pour toujours, il le fallait bien. Mais certains pans de sa propre histoire étaient gravés dans une âme comme dans la pierre. Un jour, comme d’autres nombreux jours, Credne se battait dans une guerre sans nom contre des ennemis sans visage, et elle le faisait parce que tel était son rôle, parce qu’ainsi l’exigeait son allégeance et parce que sa nature, surtout, l’exigeait. Guerrière depuis toujours, avant même de posséder des armes, le plaisir qu’elle tirait de la guerre n’était pas tant de passer des ennemis par le fil de m’épée que de tester ses créations sur le terrain et surtout de se défier elle-même, de mettre son talent, déjà connu dans le Songe, à l’épreuve. Et ce jour-là, comme cela lui était déjà arrivé plus d’une fois, elle s’était retrouvée en difficulté. Jusqu’à présent, elle s’en était toujours sortie, mais il arrivait toujours un jour où la chance n’était plus en votre faveur. Immortels face au temps, il fallait bien parfois que la violence cueille les Feys et les envoie à Danu. Ce jour-là pourtant n’avait pas été son heure parce que Thanatos était venue à sa rescousse. Elle lui devait peut-être les milliers d’années qu’elle venait de vivre, et ce n’était pas rien.
SIDHE UNSEELIE∭ noble's blood.
Lola V. Shield
Sujet: Re: A song of death and fire || Tana Mar 16 Aoû - 23:24
A song of Death and Fire ft. Credne Cerd
Avril 2016 — Ellan Vannin
Ce matin-là, Tana-Kèr se regarda avec attention dans le miroir. Elle aperçut une personne triste et fatiguée. Certains auraient dit qu’elle ressemblait à ces personnes qui n’avaient pas eu de chance dans la vie. Du bout de doigt, elle pinça ses joues et les tira vers le haut afin de s’obliger à sourire. Elle lâcha et l’expression demeura. Quelques secondes. Plusieurs secondes. Elle n’eut bientôt plus à se forcer. Le sourire s’imprima durablement sur ses lèvres. C’était le sourire calme et paisible de la confiance et de la conviction que son existence avait fini par prendre sens. Il y avait un intérêt dans sa venue au monde. Non. Danu ne l’avait pas puni. Non. Elle n’était pas le seul paria de la Faërie.
Dans leurs conséquences, tous ces événements passés l’avaient anéanti. Ils l’avaient torturé, terrifié même à certains moments. Elle avait commis des horreurs. Elle, la petite fey douce et rêveuse qui n’avait jamais rien demandait. Une enfant docile dont le seul défaut fut peut-être d’avoir un caractère trop humain pour une fey. Jusqu’au jour où la Mort, dans une partie du monde bien précise, avait décidé qu’elle serait son incarnation. Elle avait joué tous les grands rôles. La mort bienheureuse. Celle qui libère les mortels de leur longue vie de labeur et de douleur. La mort injuste qui frappe dans la fleur de l’âge un jeune enfant malade. La mort cruelle qui sépare deux amants rayonnants durant le printemps. Mais, là encore, c’était le destin. Et puis, elle avait été la mort folle. Celle qui frappe sans discernement sur-le-champ de bataille. Celle qui prend sans regarder. Celle qui fait pencher la victoire dans l’un ou l’autre des camps belligérants. Elle désirait tant être autre chose. Être quelqu’un de différent. Elle aurait voulu être belle et radieuse comme certaines de ces feys qu’elle voyait aujourd’hui déambulaient dans la rue depuis sa fenêtre. Son demi-frère n’avait cessé de lui dire qu’elle était jolie. Des amants lui avaient susurré à l’oreille qu’elle était magnifique, sculpturale. Elle devait plaire à certains : ceux qui pensait trouver une agréable petite mort auprès de la Mort elle-même…
Elle ne savait pas quoi faire de sa journée. Elle n’avait pas de travail. Pas de personne à aller visiter. Il y avait bien ses vieilles connaissances grecques, mais elle n’avait toujours pas repris contact avec eux. Il y avait bien la librairie, mais elle passait presque tout son temps là-bas. Le soleil était réapparu et elle s’était dit qu’il fallait en profiter. Le soleil et la chaleur lui manquaient. Elle avait toujours aimé sentir le rayon de l’astre solaire réchauffer sa peau. Elle avait entendu parler d’un haras près des terres Unseelies. Elle ne savait pas si elle pouvait y aller en ne faisant pas partie de la cour, mais elle voulait quand même tenter l’expérience. Pour l’instant, elle n’avait pas choisi de cour. C’était mieux que d’être Seelie après tout… Elle se prépara un petit panier avec un pique-nique : quelques tranches de viande froide, du pain et des fruits. Elle empaqueta également deux livres pour se relaxer au soleil. Un, qu’elle lisait encore et encore, l’autre qu’elle avait acheté dans la vieille librairie du centre et qui lui avait été conseillé par le propriétaire des lieux.
Elle observa encore une fey passée par la fenêtre et tenta de s’inspirer de ses beaux vêtements. Avait-elle pareil accoutrement dans ses affaires ? Elle retourna sa petite penderie. Elle ne demeurait plus à l’auberge et avait décidé de prendre un petit appartement non loin du port. Quelques choses de pas trop grand, pas trop spacieux. Les grands espaces la faisaient déprimer depuis qu’elle était seule. Une chambre, un petit salon, une petite cuisine, une petite salle de bain, un petit balcon pour le chat… Elle se décida finalement pour une longue robe bleu nuit. Simple et décontractée, elle avait été tissée à partir de fil de soie féérique. Cette robe n’était pas la sienne. C’était celle de sa mère. Tana se souvint qu’elle était bien plus belle qu’elle dans cet accoutrement. Nixie avait eu cette grâce sidhienne que sa fille ne pensait pas avoir. C’est que Tana-Kèr n’avait jamais réellement pris conscience de son corps. L’esprit avait toujours pris toute la place si bien qu’elle s’imaginait parfois être atteinte d’une macrocéphalie.
Une fois prête, Tana se mit en chemin. Elle descendit du carrosse un peu avant sa destination finale. Ella avait envie de marcher. Elle avançait sur la grande route, un long ruban de poussière qui n’en finissait plus et qui se perdait jusqu’à l’horizon. À des endroits, les bois recouvraient le chemin : leurs silhouettes courbées et tortueuses formaient une allée royale clairsemée. Tous les arbres n’avaient pas encore recouvré leurs feuilles. Elle se remémora l’allée de chêne de Oak Alley en Louisiane. Comment était-elle déjà en cette période de l’année ? Pas très différent d’ici, certainement. Elle emprunta un sentier où le blé jeune lui montait jusqu’à ses mollets. Le pâle soleil d’avril brillait au-dessus de sa tête et jetait ses rayons sur ses épaules dénudées. L’air du matin à ses narines et le cœur tranquille, elle s’en allait à la rencontre de magnifiques équidés. Elle avait entendu dire qu’il y avait ici de très belles bêtes et qu’on pouvait les admirer gambader de temps à autre.
À la vue du premier cheval, elle s’arrêta et posa son panier. Elle se rapprocha de la barrière du pré et observa la bête galoper, la crinière au vent. Elle n’eut pas à tirer sur ses joues pour former un sourire cette fois… Ses lèvres s’étirèrent d’elles-mêmes. Elle repensa alors à tous les chevaux qu’elle avait eus au cours des siècles. La plus belle à ses yeux restés cependant son pur-sang arabe blanc. Une rareté. Un vrai bijou. Une bête avec laquelle elle n’avait fait qu’une pendant trop peu de temps quand on compare l’espérance de vie d’un animal par rapport à celle d’une fey. Elle ne savait pas si c’était le soleil, l’espoir ou encore autre chose qui l’aidait aujourd’hui à chasser loin de son cœur la mélancolie et donc loin de ses oreilles la voix de mort, mais elle songea à son vieil amant sinistre sans accablement et a son fils sans affliction… Pourtant, la douleur commença à la prendre au ventre quand le visage de son frère se matérialisa dans ses pensées… Les voix n’eurent pas le temps de s’infiltrer dans la brèche, car son attention fut tout de suite détournée. Tana-Kèr revint sur terre.
Quelqu’un s’était approché d’elle. Ailleurs, elle aurait certainement fait totalement volte-face pour observer l’individu qui venait briser ce moment imparfait avec un regard noir. Elle se retourna lentement et observa la Sidhe aux cheveux de feu qui s’avançait vers elle. Elle reconnut la fey sans aller chercher bien loin dans ses souvenirs. Comment oublier cette toison flamboyante ? Tana avait rarement revu cette couleur chez une fey. Elle se souvenait avoir vu son visage tâché de sang. Elle avait gardé en mémoire ses mains fortes qui levaient une arme au-dessus de sa tête pour l’abattre avec force et fracas sur ses ennemis. Elle se souvenait de la guerrière féroce qui n’avait pas peur de la Mort. Et pourtant elle l’avait vu en face… Doublement, d’ailleurs. D’abord, quand elle avait été submergée par ses adversaires, puis lorsque Tana-Kèr avait frôlé du bout des doigts tous ses assaillants afin de les envoyer en enfer. Pourquoi l’avait-elle sauvé ? Tana ne savait pas pourquoi. Elle savait juste que Credne devait vivre. Et peut-être qu’au fond elle ne savait rien, et qu’elle avait simplement décidé qu’une fey avec des cheveux aussi flamboyants ne devrait jamais rejoindre Danu.
Un nouveau sourire se dessina sur ses lèvres afin de répondre à celui que Credne lui offrait. Doux. Réjouie. Heureux. La fey la salua. Elle s’inclina délicatement pour la saluer à son tour.
« Bonjour… »
Dit-elle avant de relever la tête.
« Je t’en pris, appelle-moi Tana-Kèr, simplement Tana ou bien Lola. Ces prénoms me siéent mieux aujourd’hui. C’est un prénom que ma mère a choisi et il n’est pas totalement entaché par la honte du passé. L’autre est un prénom que je me suis choisi et qui convient mieux à l’être que j’ai choisi d’être à l’heure actuelle. »
Elle marqua une courte pause. Son sourire ne lavait pas quitté.
« Comment dois-je t’appeler aujourd’hui ? Je ne voudrais pas commettre d’impair. Je ne suis plus habituée à nommer les gens de mon passé… »
Tana-Kèr posa ensuite son regard sur la silhouette de la Sidhe. Elle était habillée comme si elle venait de sortir de sa forge. Quand elle s’était connue, Credne lui avait raconté qu’elle forgeait des armes et la renommée de la fey dans cet art avait dépassé les portes de la Faërie. Les baudriers où reposaient ses armes étaient également visibles : une guerrière jusqu’au bout des ongles.
« Je suis heureuse de savoir que Danu à veiller sur toi… Les guerres n’ont pas épargné notre peuple durant ces dernières décennies. »
Dit-elle avec une pointe de mélancolie en pensant au sort de son frère. « Mort » chuchota une voix qu’elle chassa aussitôt. Non. Son frère n’était pas mort et même les voix n’auraient pu la convaincre du contraire.
« Cette vieille connaissance est l’heureux propriétaire de ce haras ? »
Questionna-t-elle en se retournant pour observer un des chevaux qui s’était arrêté de gambader pour se désaltérer à un petit point d’eau.
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Blodwyn E. Tyronoe
Sujet: Re: A song of death and fire || Tana Sam 20 Aoû - 14:43
a song of death and fire
ft. Credne Cerd & Thanatos.
Dans son mouvement gracieux quand elle se retourna, sa silhouette soulignée au gré de la brise par sa robe, la façon dont ses longs cheveux noirs et brillants effleuraient son visage, il émanait de Thanathos une fragilité que n’avait jamais manquée Credne. Elle l’avait remarqué dès le départ, surtout parce que son amie réussissait l’exploit de combiner cette gracilité avec une force dont elle avait pu être le témoin, une force qui pouvait paraître désespérée. Bien sûr, les temps avaient changé. Leur première rencontre s’était fait au milieu de la bataille, alors que le fracas des combats, les cris de rage ou de souffrance et le grondement des sabots des chevaux au galop couvraient la moindre parole, que l’air sentait le sang qui laissait un goût métallique sur la langue et que tout autour d’elles était coloré d’une couleur uniforme, de feu, de cuir et de sang, un dégradé terne qui effaçait les reliefs et donnait à la scène une dimension quasi surréaliste. Et pourtant il n’y avait rien de plus réel pour elle, et c’était bien Thanathos qui lui avait parue tout droit sortie d’une vision à l’époque. Aujourd’hui, entourées par les vastes et vertes plaines d’Irlande, avec pour seul parfum charrié par le vent celui du printemps à venir, toutes deux pouvaient se vanter de ne pas paraître les mêmes, au moins. Au moins Credne était-elle habituée à ne pas être la plus gracieuse dans la salle : la dernière fois qu’elle avait mis une robe, et la première fois en peut-être un siècle, c’était pour Beltaine. Aujourd’hui tout droit sortie de sa forge, ses avant-bras encore marqués par les inévitables gouttelettes de métal en fusion qui se collaient à sa peau et qu’elle ne sentait plus depuis longtemps, sa chevelure de feu emmêlée par le vent et ses habits de vieux cuir affaissé, elle était apprêtée pour se rouler dans la boue, rien de moins.
Elle hocha la tête en réponse à la demande de son amie. Combien des conversations qu’elle avait eues ici en retrouvant de vieux amis avaient-elles commencé ainsi ? Ce n’était pas une coquetterie, loin de là. Il y en avait parmi eux qui n’étaient plus ceux qu’ils étaient si longtemps auparavant, qui avaient été des dieux un jour, qui avaient eu des mains de pouvoir mythiques, qui étaient aujourd’hui les doubles un peu moins homériques des légendes qui les poursuivaient encore. Et si certains avaient du mal à lâcher prise ce passé pourtant bel et bien révolu, d’autres au contraires appelaient de ces yeux cette sorte de renaissance, d’anonymat peut-être, qui passaient entre autres par un autre nom, tout simplement, un nom qu’ils s’étaient choisis, qui leur appartenait. Cela attrista la forgeronne évidemment de l’entendre parler de honte et de passé entaché. Mais cela aussi appartenait à son amie : son passé, et la façon dont elle s’en drapait, ou dont elle le fuyait, ou dont elle l’ignorait. Tous connaissaient ce problème. C’était l’une des conséquences de l’immortalité. Nul ne vivait éternellement sans connaître des épreuves et commettre des erreurs. À eux seuls appartenait le droit de vivre ce passé comme ils le voulaient. Credne esquissa donc un sourire pour rassurer son amie.
— Je t’appellerai donc Lola, puisque c’est le nom que toi, tu t’es choisi. Credne n’avait pas connu la mère de Lola, et le concept même de parents n’avait aucune espèce d’importance pour elle : ce n’était pas auprès des siens qu’elle avait grandi. — Aujourd’hui on me connaît sous le nom de Blodwyn, mais en vérité, tu peux m’appeler comme tu le souhaites, tant que cela te convient, à toi.
Un nom lié à un passé où se mêlaient, inextricablement lié, les peines et les joies. Credne avait décidé de ne pas repousser l’un pour ne pas se passer de l’autre. Et d’embrasser le présent, tout simplement. La simplicité, c’était son truc, depuis toujours. Mais elle savait que son seul nom ancien pouvait déclencher chez d'autres des réminiscences de leur propre passé. Elle détourna les yeux pour les poser sur la ligne de l’horizon, ou un groupe de chevaux galopaient au loin, petites silhouettes nobles et spectaculaires. Son rapport à Danu était tel qu’elle aurait eu tendance à penser que c’était son seul talent, et la chance, qui lui avaient permis de vivre jusqu’à aujourd’hui – la chance, prenant la forme de gens comme Lola, par exemple. Mais d’autres appelaient la chance la Déesse, tout simplement. Credne ne se sentait pas assez liée à Elle pour prétendre à sa protection. De tous les réflexes feys qu’il lui avait fallu réapprendre, envisager la présence omnisciente de Danu était bien celui qu’elle avait retrouvé en dernier. En fait, et elle avait cessé d’en avoir honte depuis longtemps, c’est pendant les guerres, pendant qu’elle se battait, que Credne avait l’impression que la Déesse les observait tous. Mais ensuite, il y avait eu le Chaudron, la division des Cours, les guerres entre Feys, la folie des rois et des reines… Comment ne pas perdre foi ? Tout le monde était bien trop occupé pour cela… même si ces derniers temps elle avait conscience que quelque chose se passait, elle n’était pas aveugle – sans parler de Naemesys qui était la preuve vivante que Danu veillait bel et bien sur eux. Cette seule pensée la fit se crisper, vu ce que la reine lui avait prédit lors de leur dernière conversation – des enfants, rien que ça. Elle reporta son attention sur Lola, sentant la mélancolie qui l’avait envahie, sans pouvoir bien sûr l’expliquer. Il fallait accepter que les « au revoir » feys pouvaient durer des siècles, et qu’en plusieurs siècles, on pouvait connaître le meilleur comme le pire.
— Quelqu’un m’a dit il y a quelques jours à peine que la Déesse ne nous avait pas oubliés, et qu’elle veillait constamment sur nous. Et je crois cette personne les yeux fermés, alors ce doit être vrai.
C’était vrai, non ? Les Sithins qui avaient retrouvé des rois, qui scintillaient de nouveau le jour et la nuit, le Nemeton qui retrouvait peu à peu son indescriptible beauté… Elle s’accouda sur la barrière de bois.
— En effet. Elle se fait appeler Skye aujourd’hui et elle est comme ma sœur. Ses chevaux ont toujours été les meilleurs. Et son talent à l’épée… atteint des sommets.
Elle s’amusait toujours de parler de cela à propos de Scáthach. Leur rivalité était entrée dans la légende, c’était par les armes qu’elles s’étaient rencontrées, mesurées l’une à l’autre, sans jamais parvenir à se départager, mais cela n’avait plus d’importance aujourd’hui. Si ce n’est que ni l’une ni l’autre n’était prête à avouer une fois pour toutes laquelle des deux aurait gagné ce combat.
— Je suis heureuse de te voir ici aujourd’hui. Non pas que je doutais de ta capacité à te défendre, ayant pu témoigner de ta force. Mais je trouve que cette île te va bien. C’est… un bel endroit. Un magnifique endroit.
Que dire ? Bien sûr, chacun venait ici poussé ou tiré par des circonstances intimes qui souvent laissaient peu de place au choix. Tous amenaient avec eux leurs fantômes personnels. Et tous, par la force des choses, se retrouvaient confrontés ici même à ce qu’ils auraient bien voulu fuir, car il s’agissait d’une île, et surtout, de la dernière terre des Feys. Malgré tout, Credne pouvait l’affirmer pour elle-même au moins : malgré tout cela, cet endroit était magnifique.
SIDHE UNSEELIE∭ noble's blood.
Lola V. Shield
Sujet: Re: A song of death and fire || Tana Dim 28 Aoû - 20:15
A song of Death and Fire ft. Credne Cerd
Lola. Le choix était fait. Prononcé par la fey, le prénom semblait même beau. Elle ne l’avait pourtant pas choisi pour cette raison. Elle avait voulu qu’il ait une signification. La fraicheur et la douceur de son âme s’étaient évaporé un jour radieux comme celui-ci. Et après ? Elle avait tenté de placer sa vie sur quelques cœurs solides comme son frère ; elle avait placé son existence sur la vertu imaginaire d’une mère ; la tendresse d’un amant Sinistre malheureux après avoir perdu l’amour de sa vie… Ces bonheurs là, trop rares, trop éphémères, lui semblaient parfois être des mensonges. Le pur fruit de son imagination. Une invention de son esprit tordu pour court-circuiter le désespoir et créer le désir… L’aspiration a une vie merveilleuse. Des illusions… La félicité ne fut jamais totalement au rendez-vous et elle avait souvent placé sa vie sur les chemins opposés. Les cœurs faibles en quête de sang, les vices les plus abjects du genre humain, l’inclémence des hommes sur un champ de bataille. Elle avait fonctionnait en mode binaire : ceux qui méritaient de mourir dignement dans leur sommeil et ceux qui méritait de mourir empaler sur une pique. Et, dans ce grand capharnaüm qu’était son esprit, les voix l’ont guidé vers ce qui était juste. « Lui. » « Elle. » « Elle. » Susurraient-ils d’une voix tremblante. Qu’avaient dit les voix quand Tana avait croisé la route de la fey forgeronne. S’en souvenait-elle ? Les voix étaient peut-être absentes… Elles étaient rarement magnanimes. Elles ne l’auraient peut-être pas sauvé… Était-ce également les voix qui lui avaient murmuré ce nouveau prénom ? Elle n’espérait pas. Elle pensait avoir fait un choix réfléchi. Il lui fallait un nouveau prénom pour se refaire une vie sans pour autant oublier toute la douleur qu’elle avait ressentie. Tous les jours, ce nouveau nom lui rappelait cette décision.
Blodwyn. Son choix s’était arrêté également sur un nouveau nom. Quelles histoires derrière ce prénom ? Tana avait toujours été curieuse des histoires des gens. Ne passait-elle pas son temps à vivre la vie et les rêves des autres en s’enfermant des jours durant dans des successions de récits réels ou fictifs ? C’était un prénom de ces contrées. « Cela veut dire fleur blanche… » pensa-t-elle à voix haute. Se rendant compte que sa voix avait percé, elle s’en amusa et offrit un sourire quelque peu gêné à la forgeronne. Parfois, à cause des bavardages des morts, elle ne savait plus très bien si sa propre voix était dans sa tête où si elle l’entendait vraiment… « Enfin, il me semble. » Conclut-elle. Tana détourna alors le regard en même temps que son interlocutrice et posa ses yeux tricolores sur l’étalon. La journée était si douce, si délicieuse, qu’elle tendit son visage vers le ciel pour recevoir chaque rayon de soleil. « Appelons-nous donc par ces nouveaux prénoms puisque nous nous rencontrons dans un nouveau lieu et, je l’espère, en tentant de vivre une nouvelle vie bien meilleurs que les précédentes. » Trancha-t-elle.
Qu’entendait-elle par meilleur ? Elle n’en avait aucune idée. Ou peut-être que si. Au fond, tout au fond. Si elle se donnait la peine d’aller remuer le limon sombre qui alourdissait son cœur d’airain. Elle savait que celle qui s’appelait encore Credne à cette époque était une guerrière. Les yeux fermaient, le soleil filtrant à travers le fin tissu cutané de ses paupières éclairait ses souvenirs. Elle revoyait la silhouette de Credne sur le champ de bataille, dansant au milieu des belligérants, telle une ballerine recouverte de sang. La fey aimait se battre et cela s’était vu sur son visage. Aujourd’hui, son côté garçon manqué n’avait pas évolué et Tana aurait parié que la guerrière prenait toujours autant plaisir à croiser le fer. Cette période de vie de la divinité de la mort était révolue. Elle pensait avoir assez tranché la chair pour ce siècle et elle n’aspirait aujourd’hui qu’à des jours paisibles et lumineux comme celui-ci.
Blodwyn lui parla alors de ce qu’avait dit une de ses connaissances. Tana-Kèr ouvrit les yeux et regarda son interlocutrice. « J’ai toujours pensé pour ma part que la Déesse m’avait maudite, que j’étais un paria et qu’elle ne pouvait veiller sur moi, parce qu’elle est l’incarnation de la vie alors que je suis son total opposé. Il n’y a que depuis peu que j’ai compris que ce n’était pas le cas. Alors, je veux croire aussi cette personne qui prononcer ses mots. Si elle ne m’a pas oubliée, elle ne peut nous avoir tous oubliés et doit veiller sur nous, où qu’elle soit. » Cette grande révélation elle l’avait eu quand elle avait saisi le sens des mots de sa mère. « Ton père s’appelle Crom Cruach. » En soi, ce qu’elle avait écrit ne voulait rien dire. Le mot père n’avait jamais eu aucune signification pour elle. La seule fois où elle avait cherché à découvrir ce que symboliser cette dénomination, elle avait rapidement compris que pour sa mère il signifiait douleur et peine. Dans ces conditions, elle n’était pas allée plus loin. Le prénom « Crom Cruach » n’avait également aucune signification, jusqu’à ce qu’elle apprenne qu’il était l’effigie de la Mort. Comme elle. Toute cette phrase avait alors pris du sens. Toi. Enfant de la mort. Tu n’es pas seule et tu as une origine. Tu n’es pas né du néant et tu ne l’incarnes pas. Ou du moins, tu n’es pas la seule. Tu n’es plus la seule…
Skye. Un nouveau prénom également ? Comme l’île Écossaise ? Comme le ciel ? Les pensées de Tana-Kèr purent rester sur cette simple constatation. L’évocation d’une sœur fit émerger celle d’un frère et le visage de Sòmn apparu. Elle eut envie de dire à Credne qu’elle, elle n’en avait plus. Le destin jouait de drôle de tour. Dans ses souvenirs, Credne ne lui avait jamais parlé de fratrie, mais elle s’en était trouvé une. Elle était née dans une cellule familiale composée de deux personnes et aujourd’hui, toutes deux l’avaient quittée… Afin que la fey ne remarque pas son malaise, Tana-Kèr lui répondit immédiatement : « Elle doit être une guerrière farouche. Même sans l’avoir vu combattre, et simplement en regardant ses chevaux j’imagine qu’elle est chevronnée. Ils sont impétueux. Celui-là, elle accompagna ses paroles d’un geste de la main, semble aussi têtu qu’une mule. Il chevauche en agitant sa crinière comme s’il allait ruer et piétiner quiconque se dresserait sur son chemin, mais on voit qu’il est monté. Ce n’est plus une bête sauvage. Quelqu’un l’a dompté pour en faire une monture d’exception. » Tana-Kèr marqua une pause et observa encore un instant l’équidé. « Et puis, je ne t’imagine pas faire l’éloge de beaucoup de personnes concernant le combat puisque tu es toi même très habile dans ce domaine. » Conclut-elle en plaisantant.
Ce que lui dit Blodwyn l’interpella. Elle se pencha vers son panier, en sortit une sorte de nappe et l’étendit sur le sol.
« Que veux-tu dire par le fait que l’île me va bien ? Cet endroit est beau et je trouve justement que je détonne quelque peu avec lui. » Avoua-t-elle en souriant doucement. Elle s’assit et posa sa main à côté d’elle, invitant ainsi la forgeronne à prendre place près d’elle. « Tu es pressée ? Ton amie t’attend-elle d’une minute à l’autre ? Tu ne veux pas t’asseoir un peu avec moi et me raconter tes aventures ? Depuis… et bien, plus de mille ans ! Où es-tu allé ? Qu’as-tu fait ? Qu’as-tu forgé ? » Beaucoup de questions en si peuvent de temps. Elle ne voulait pas que Blodwyn s’en aille trop vite. Elle était le premier visage familier et amical croisé depuis son arrivée.
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Blodwyn E. Tyronoe
Sujet: Re: A song of death and fire || Tana Mar 30 Aoû - 22:39
a song of death and fire
ft. Credne Cerd & Thanatos.
N’était-ce pas amusant, un tel nom pour quelqu’un comme elle ? Les fleurs, elle avait passé plus de temps à les piétiner sur les champs de bataille et à les éclabousser du sang de ses ennemis qu’à s’en faire des couronnes. Elle-même n’avait rien d’une fleur. Elle était Sidhe, pourtant, et le destin en aurait-il décidé autrement que peut-être, elle aurait grandi à la Cour, auprès de ses nobles parents, aurait tout appris de l’étiquette, de la diplomatie et de la politique, serait devenue telle que son sang aurait dû le commander : pâle créature précieuse et gracieuse, le front haut, les yeux froids, la conscience aiguë d’être plus et mieux que la plupart des autres Feys. Cette seule idée ne l’aurait même pas choquée mais lui aurait été aussi naturelle que respirer. Credne ne regrettait pas de ne pas être devenue cette personne, ni n’était soulagée d’être celle qu’elle était aujourd’hui. Dans un sens ou dans l’autre, elle seule aurait décidé de sa vie, de toute façon. Les raisons derrière un tel choix de nom étaient probablement stupides et sans importance. Credne elle-même en gardait un souvenir flou. Elle qui avait si longtemps arboré les traits d’un homme, qui maniait l’épée ou le marteau pour vivre, qui regardait les robes comme on fixe un cafard en train de courir le long d’un mur, dont les cheveux s’emmêlaient si souvent et qui n’aurait su différencier une fleur d’une autre, avait peut-être voulu lancer un défi à son propre destin. La fleur derrière laquelle se dissimulait le bronze. Pour elle, il ne s’agissait pas d’abandonner celle qu’elle était en même temps que son nom mais simplement de s’adapter à un changement impossible à endiguer.
Mais elle pouvait en revanche rejoindre Lola quant au fait de vivre une vie meilleure que la précédente. Non pas qu’elle reniait quoi que ce soit qu’elle ait pu faire par le passé. Elle s’y refusait même, assumant tout, acceptant tout, s’appropriant toutes ses erreurs, toutes ses horreurs, pour le seul plaisir de les posséder complètement, de savoir que même le pire, elle l’avait décidé elle-même et n’en avait pas seulement été la victime. Mais assurément, et plus que jamais, elle vivait aujourd’hui une existence plus douce que par le passé. Puisque Cenn était à ses côtés. Cependant, elle savait que pas un seul d’entre eux ne revivait son passé de la même façon. C’était le souci, quand on vivait des centaines et des centaines d’années : le passé était lourd, et envahissant. Son regard balaya légèrement le visage gracile de Lola alors qu’elle se demandait ce qui la heurtait tant, au point qu’elle aurait voulu s’en débarrasser comme on enlève une chemise le soir en rentrant chez soi. Cela l’attristait, parce que nul ne pouvait réellement se détacher de ce qui était une partie de soi. Si elle avait voulu fuir son passé, Credne savait bien ce qu’elle aurait finalement vu dans le miroir la nuit venue. On pouvait tout laisser derrière soi, sauf soi-même. Et cependant, comme le disait Lola, il s’agissait plutôt de vivre une vie meilleure, sans pour autant effacer les anciennes. Le bonheur se trouvait peut-être là, dans la conciliation entre l’avant et le maintenant. Être heureux malgré tout, en somme.
Et puis, parce qu’elles avaient évoqué la Déesse, Lola lui dévoila une partie de ses pensées, avec une candeur et en même temps une sévérité qui ne purent qu’impressionner la forgeronne. Credne n’avait pas le contact physique facile ou même spontané, et pourtant, en cette seconde, elle aurait voulu poser une main sur le visage de son amie, sans trop savoir pourquoi. Peut-être pour s’assurer qu’elle était vraiment là. Ou pour prouver à Lola elle-même qu’elle était bien là, bien réelle, dans ce monde, présente. Importante. Elle détourna le regard pour le poser sur l’horizon. Avait-elle besoin de se forcer pour comprendre le point de vue de Lola ? Elle-même n’avait pris réellement conscience de la présence de Danu que très récemment. Du fin fond de sa caverne humide, glaciale et puante, allongée à même la pierre, à attendre en tremblant le moment où son maître cracherait son nom dès qu’il désirerait sa présence à ses côtés, elle avait haï la Déesse, de toute son âme. La colère seule la maintenant debout, et la colère totale, universelle, contre tout et tout le monde. Puis, petit à petit, elle avait simplement cessé de croire. Que Danu ne réponde pas à ses suppliques passait encore. Mais qu’Elle ne réagisse pas non plus à ses insultes, à ses menaces, à ses reniements, avait fini par persuader Credne que la Déesse n’existait tout simplement pas. D’une certaine façon, l’enfant qu’elle était s’en était trouvée apaisée, même si ce qu’elle avait pris pour de l’apaisement à l’époque n’était en fait que l’apathie de celle qui venait d’abandonner une partie d’elle-même en abandonnant Danu. Alors, qui était-elle pour juger ? Qui était-elle pour prêcher ? Les seuls propos de Lola suffisaient à la conforter non seulement dans sa propre vision de la Déesse, mais aussi à la rassurer quant aux sentiments en devenir de Lola à ce sujet.
La conversation cependant glissait sur un autre genre de Déesse, et Credne se rendit compte qu’évoquer le nom de Skye ne devait pas dire grand-chose à Lola. Elle était si peu habituée à retrouver ainsi d’anciennes connaissances… du moins jusqu’à ce qu’elle arrive sur cette île et ne croise en si peu de temps de nombreuses personnes ayant déjà fait partie de son existence. En l’occurrence, le nom de Scáthach était si connu qu’il y avait peu de chance que Lola ne le connaisse pas : l’Ombre du Haut-Roi, quand bien même elle était bel et bien vivante, était déjà devenue légende. Credne hochait la tête doucement pour acquiescer aux compliments de son amie quant aux chevaux de Skye.
— Ta description est tellement exacte que c’en est presque surnaturel. Elle est effectivement une incroyable guerrière, la meilleure que je connaisse, et farouche, et chevronnée, elle l’est certainement. Elle s’est longtemps appelée Scáthach, et pour tout avouer, nous nous sommes mesurées l’une à l’autre il y a très longtemps, et ni elle ni moi n’avons pu l’emporter.
Elle parlait d’une voix vibrante rien qu’à évoquer ce souvenir. Ce qui faisait que Credne aimait le contact de la garde d’une épée dans sa main, elle n’aurait su le dire. Cela conférait probablement à la pathologie mentale, en vérité. Les Humains l’auraient appelée sociopathe, après l’avoir appelée leur déesse. Mais… ce temps-là était révolu. Non pas que les temps à venir n’auguraient aucune violence, au contraire, bien au contraire. Une idée pas vraiment perturbante pour elle. Créature antique déjà, elle restait là, attendait son heure, l’heure venue de dégainer de nouveau une lame pour la porter au devant d’un ennemi pour le moment sans visage. Le moment venu, elle ferait ce qui devait être fait, ce que son allégeance exigeait d’elle, ce que le danger appellerait comme réponse. Fallait-il être un peu sociopathe, effectivement… Credne baissa les yeux sur Lola, qui venait de sortir une nappe de son panier et de l’inviter à se poser à ses côtés. Elle esquissa un sourire et s’assit à son tour. Sourit encore plus sous le flot des questions.
— Nous avons tout le temps du monde si seulement on est prêtes à se l’accorder. Ou bien peut-être ne croyait-elle pas vraiment en ce qu’elle disait. Son sourire se fana quelque peu sur les bords, avant de refaire son apparition. [/color]— Mais d’abord, permets-moi de répondre à ta question. Cette île, depuis que j’y suis arrivée, a été pour moi le théâtre de grands bouleversements. Avant cela, j’ai passé quelques temps dans l’Iowa où j’ai cru dépérir. Quand j’ai posé un pied sur Ellan Vannin, jamais encore je ne m’étais sentie aussi seule, et avec une telle impression de vacuité. Cela ne tenait pas seulement à mon état d’esprit, à la solitude à laquelle je m’étais astreinte, mais aussi au fait que je ne me sentais plus aucun lien avec les miens, ni avec une terre, un foyer.[/color]
Oh, comme elle avait cru que s’isoler du monde lui apporterait la paix de l’âme… Comme si, trahie tant de fois, par des amis si chers qu’ils avaient été comme un pan de son cœur, par l’amour de sa vie si longtemps ignoré, la seule solution qu’elle avait cru trouver avait été de ne vivre plus que pour elle-même. Et pourtant, cette existence-là s’était avérée bien plus pesante encore.
— Je ne suis pas naïve, cet endroit n’est pas le paradis. Mais c’est notre terre, et elle agit comme un phare dans la nuit des Feys. Elle a rapproché de moi, par la force des choses, des êtres que j’avais cru ne jamais mérité de revoir. Des gens comme toi. Elle est comme une page blanche, entièrement sous notre responsabilité, et nous seuls déciderons d’en faire un foyer ou une prison, un paradis ou un enfer. L’occasion d’un renouveau, ou de tout rater, de vivre de nouvelles épreuves, de détruire cette fragile ébauche de nos mains. Et je trouve que cette île te va bien parce que, sans même connaître les détails de ta vie depuis notre séparation, je sens que tu as changé, et je sais que tu appelais ce changement de tes vœux. Et je crois, ou peut-être j’espère, que tu ressentiras les choses comme moi, ici.
Elle se tut, presque essoufflée d’avoir tant parlé. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas eu l’occasion de s’épancher ainsi. Rarement parvenait-elle à exprimer avec des mots ce qui lui passait par la tête, et une fois encore, elle le savait, elle digressait grandement. Chez elle, ce qui se concevait bien ne s’énonçait pas forcément clairement, surtout quand la passion s’en mêlait ainsi. Elle s’appuya sur ses bras posés derrière elle, renversa le visage en arrière, les yeux fermés, offert à la brise.
— Tout ce que j’ai fait durant ces mille années, justement, ont mené mes pas jusqu’ici. Mais j’ai déjà trop parlé. Toi aussi, tu dois me dire ce que tu veux bien me dévoiler de ta vie ces mille dernières années. Nous nous sommes quittées dans un temps sans cesse traversé par des guerres et je pense ne pas t’étonner en te disant que j’ai activement participé à bon nombre d’entre elle. Mais le monde a changé, et nous avec, au moins en surface.
Lola n’était plus celle que Credne avait connue. Et la Lola qu’elle avait connue, Thanathos, était probablement elle-même le fruit de nombreuses vies passées déjà.