Vous ne me connaissez pas. Nos routes ne se sont jamais croisées. Du moins, j’en suis presque certaine, mais je ne sais pas à quoi vous pouvez bien ressembler. J’ai tenté de l’imaginer. J’ai tenté de vous dessiner en m’inspirant de mon propre reflet ; excluant savamment les traits que je savais appartenir à ma mère.
Tous ces premiers mots doivent vous paraître bien étranges. J’ai eu beau recommencer cette lettre une centaine de fois, je ne sais jamais comment je dois introduire toute cette histoire. Je ne sais pas non plus où elle nous mène. Je me suis même demandé dans quelle langue je devais vous écrire. Est-ce que je devais vous adresser ses mots dans un langage familier ? Devais-je te tutoyer ou vous vouvoyer ? J’ai alors décidé d’écrire au fil de l’eau et de laisser parler mon cœur. Elle pourra alors vous paraître quelque peu bouillonne, mais elle reflète bien ce qui se passe dans ma tête à l’instant où je couche ces mots. Je ne sais toujours pas comment vous annoncer ce qui va suivre. Alors, je vais aller au plus simple. Je vais l’écrire simplement.
Je m’appelle Tana-Kèr et je suis votre fille.
Ma mère s’appelait Nixie. Vous l’avez aidée à cacher sa grossesse puis la naissance de mon frère ainé : Sòmn. C’est lors de cette période que vous vous êtes rapproché et que j’ai été conçu. Quand elle a découvert qu’elle était enceinte de vous, elle a décidé de quitter la cour afin de nous protéger mon frère et moi. Elle avait peur qu’on ne découvre qui était le vrai père de Somn et aussi… qu’on découvre que vous étiez mon père. Elle a fui en Grèce où je suis née il y a environ 2700 ans. J’ai vécu dans cette partie du monde jusqu’à la chute du panthéon gréco-romain, mais mère n’a jamais voulu rentrer à la Faërie. Elle a vécu toute sa vie avec la peur qu’on ne découvre ses secrets. J’ai longtemps cru que mon frère et moi avions le même père. En connaissant toute la vérité pour mon frère, je comprends qu’elle ait eu peur pour lui, mais je ne comprends pas pourquoi elle avait peur de vous. Sur la fin de sa vie, elle ne cessait de me répéter de rester loin de vous. Je pense qu’elle avait plus peur que vous ne lui en vouliez pour lui avoir caché mon existence, plus que pour ma propre sécurité, même si elle disait me protéger…
Vous devez vous demander pourquoi je ne vous contacte que maintenant ; pourquoi n’ai-je pas cherché plus tôt à découvrir qui vous étiez ? J’ai posé des questions à votre sujet lorsque j’étais enfant, mais je ne voulais pas blesser le seul parent que j’avais en remuant le couteau dans la plaie. Alors, j’ai vécu dans l’idée que je n’avais pas de père et cela me convenait, jusqu’à aujourd’hui. J’aimerais vous rencontrer. Je ne vous demande pas d’être le père que je n’ai pas eu pendant plus de deux mille ans. Je ne veux pas m’imposer dans votre vie actuelle. Je ne vous demande pas non plus de répondre à cette lettre, mais voici ce que je vous propose. J’ai pris l’habitude d’aller prendre un thé dans un petit endroit sur le port le « Café des Roses ». Je m’y rendrai tous les lundi, mercredi, vendredi et dimanche après-midi du 17h à 19h pendant un mois à partir de la date de cette lettre. Je laisserai un exemplaire de Madame Bovary de Flaubert en évidence sur la table pour que vous puissiez me reconnaître. Prenez le temps qu’il vous faudra… Ne venez pas si vous n’en avez pas envie. Je comprendrais…
Elle avait écrit des dizaines et des dizaines de lettres avant d’envoyer celle-là. Ce n’était pas la meilleure de toutes, ce n’était pas non plus la pire. C’était celle qui reflétait le plus tout le fatras qu’elle avait dans la tête, les voix en moins. Bien sûr, elles avaient manifesté leurs opinions lors de tout le processus. Leurs désagréables points de vue. « Il n’en a rien à faire de toi. » « Rien. » « Qui t’aime ? » « Personne. » « Même lui. » « Même elle. » « Même eux. » « Ils n’en ont rien à faire. » « Alors. » « Lui. » « Rien. » « Rien. » Elles les avaient fait fuir. Elle s’était fermée à leur appel, mais cela lui avait pris du temps… Après tout, la voix des morts avait toujours été méchante avec Thanatos. Peut-être aussi détestaient-elles son père ? Lui. Cet autre dieu de la Mort.
Tana-Kèr ne savait pas combien de jours s’étaient écoulés depuis le moment où elle avait envoyé la lettre et aujourd’hui. Religieusement, comme si elle avait une tâche à accomplir, elle se rendait les jours indiqués au Café des Roses avec un vieil exemplaire de Madame Bovary sous le bras. Elle s’asseyait à la terrasse du Café, ou à l’intérieur de l’établissement selon le temps, elle déposait le livre bien en évidence sur la table et commandait un thé. Le lundi elle aimait quelque chose de fort. C’était comme si elle cherchait à marquer le début de la semaine. Elle demandait alors un bon thé noir à la vanille Bourbon, très sucré, avec beaucoup de lait et un énorme cup-cake. Le mercredi, elle prenait quelque chose de léger : un thé vert japonais avec des fleurs de cerisiers et une part de cake au matcha. Le vendredi, elle prenait quelque chose de sophistiqué : un thé noir soyeux à la bergamote et au bluet royal et des macarons variés. Le dimanche, elle se disait qu’il lui fallait quelque chose qui lave son esprit, qui le vide de ses pensées noires de la semaine passée afin de recommencer à zéro. Elle prenait alors un thé blanc au jasmin. Rien d’autre.
Aujourd’hui, il faisait beau. Tana s’installa donc en terrasse. Religieusement, elle posa l’exemplaire de Madame Bovary sur la table, sortit un autre livre de son sac de plage et se mit à le lire le temps qu’on vienne prendre sa commande. Plus tôt dans la journée, elle avait profité du beau temps pour aller rêvasser sur le bord de mer. Les plages de l’île n’étaient pas celles de la Grèce de son enfance ni de la Floride voisine de sa Louisiane chérie de ces derniers siècles, mais elle avait réussi à trouver une certaine forme de paix intérieure en écoutant le bruit de l’eau. Elle ne s’était vêtue d’aucun Glamour et apparaissait sous ses traits féériques. Elle était habillée d’une simple robe longue en toile de coton noire dénudée aux épaules et dans le dos. La couleur du tissu jurait avec la pâleur de sa peau. Elle arborait une capeline en paille pour protéger son visage des UV. Ses longs cheveux noirs lâchés montraient une teinte bleue sous ce grand soleil. Déjà perdu dans le monde parallèle de son livre, son esprit mit du temps à comprendre ce qui se passait. Du mouvement près d’elle lui fit relever les yeux. Ses pupilles trichroïtes se posèrent alors sur le visage d’un homme. Elle allait commander, quand elle remarqua qu’il ne portait pas l’uniforme rose et noir caractéristique des employés du café. Ses yeux papillonnèrent. Ce pouvait-il que ? … Elle était paralysée et ne réussit qu’à prononcer un seul mot :
« Père ? »
DEATH LORD ∭ Crom-crunch, l'homme de cro-mignon, qui fey peur (et c'est normal).
Leith O. Martain
Sujet: Re: New Life Lun 17 Oct - 22:32
New Life
ft. Lola V. Shield & Leith O. Martain.
Voilà presque une semaine à présent que cette lettre m'était parvenue. J'avais beau l'avoir relue des dizaines de fois, je ne parvenais toujours pas à y croire. J'étais père, moi? Etait-ce un traquenard, une mauvaise blague? Comment aurais-je pu donner la vie alors que l'essence même de mon existence avait toujours tourné autour de la Mort? En vérité, je ne posais pas la bonne question. Au lieu de me demander pourquoi la déesse avait permis un tel miracle, je devais plutôt me demander... Pourquoi avais-je autant de mal à l'accepter? Etait-ce si difficile d'imaginer qu'un être comme moi puisse être père? Il fallait croire que oui. Encore encré dans mes mauvaises habitudes de culpabilité mal placée, de jugement de mon existence, je ne parvenais pas à assimiler l'idée que l'on m'ait accordé le droit d'engendrer. J'avais parcouru cette lettre en long, en large et en travers. Je m'étais attardé sur chaque mot, chaque phrase, chaque paragraphe. A force de la relire je la connaissais désormais par coeur et malgré tout ça, je ne parvenais toujours pas à encrer cette révélation dans la réalité. Une fille... J'étais le père d'une fille et son nom était Tana-Kèr. A chaque fois que je répétais cette phrase en pensée, j'avais l'impression de heurter le mur de ma conscience, comme si celle-ci refusait de la laisser entrer.
Dans la lettre, elle disait que sa mère était Nixie, un nom que je pensais à tout jamais perdu dans mon passé, une personne à qui je n'imaginais pas repenser un jour. Une Sidhe magnifique, que j'avais aidée presque "comme ça", sans réelle explication. Elle portait à l'époque un enfant qu'elle souhaitait cacher et sans poser de question je l'avais aidée, soutenue, protégée. En y repensant il n'y avait pas vraiment eu de logique dans mes actions, ça m'avait juste semblé être la chose à faire. Et de cette façon, le plus naturellement du monde, nous étions rapprochés. Oui, entre nous il y a eu une relation, courte mais intense, et surtout sincère. Pourtant jamais je n'aurais imaginé que de cette relation naîtrait un enfant. Ceci expliquait pourtant bien des choses. Nixie était sortie de ma vie comme elle était venue, sans prévenir. Ca m'avait fort marqué à l'époque, mais j'avais fini par mettre cette histoire derrière moi. Comme c'était étrange... Cette lettre marquait la première fois que ces évènements me revenaient en tête depuis des millénaires, pourtant je parvenais à me les remémorer, clairement, comme si c'était hier. Certaines choses ne pouvaient tout simplement pas s'oublier...
Je n'avais pas encore prévenu Cred de cette lettre. Je m'étais promis de ne plus jamais rien lui cacher et j'avais bien l'intention d'honorer cette promesse, mais avant je devais aller au fond des choses. Je devais m'assurer que tout ça était bien vrai, bien réel. Au fond de moi je savais que ça l'était, mais le mur de ma conscience etc, je devais en avoir le coeur net. A trois reprises déjà je m'étais rendu au port de Douglas, à la même heure, observant de loin la terrasse du Café des Roses, comme indiqué sur la lettre. A chaque fois il y avait bien une Sidhe sublime attablée là, à la fois pâle et ténébreuse, un livre sur sa table alors qu'elle en lisait un autre. Un thé différent à chacune de ses venues, presque comme un rituel. Plus aucune raison de douter, c'était bien elle. Je l'avais assez observée il était temps de passer à l'action, d'aller à sa rencontre, de lui parler, enfin. A ma quatrième visite au port, je me décidai donc de l'approcher.
J'étais affreusement nerveux, comme rarement j'ai pu l'être par le passé. Pas suffisamment à l'aise pour afficher ma véritable apparence en plein Douglas, je m'étais réfugié sous mon voile de Glamour. Cheveux courts, costume sur mesure d'un gris sobre, j'arrêtai mes pas devant sa table, la gorge encore trop serrée pour lui adresser la parole. Ce fut elle alors qui prit les devants, lâchant directement LE mot qui suffit à me désarçonner. Savoir que l'on était père était une chose, se l'entendre dire par la personne concernée, même sous forme de question, c'était un peu trop fort, un peu trop soudain. Presque par réflexe je levai la main devant moi avec un soupçon d'hésitation pour la stopper dans son élan, lui répondant: - Leith... Juste... Leith." Comme un idiot je restai debout durant de longues secondes. Je n'osai pas encore affronter son regard, à la place je fixai un peu bêtement le Madame Bovary posé sur la table. Sur la couverture cette chère Emma me fixait d'un air presque impatient, comme si c'était elle de sa surface cartonnée qui me poussait à prendre place. Je tirai donc une chaise pour m'y installer, croisant cette fois pour de bon les fascinantes prunelles tricolores de Tana. J'y reconnus un argent vif, similaire au mien mais surtout le bleu nuit de Nixie, qui me revint comme une gifle en pleine figure. Ce n'était évidemment pas le seul trait commun avec elle, il y avait bien d'autres similitudes. Je parvenais sans mal à revoir sa mère à travers elle, malgré le fait que je n'avais plus vu le visage de celle-ci depuis presque trois mille ans. Je ne pus d'ailleurs pas m'empêcher de le souligner. - Je reconnais aisément Nixie en toi, tu es bien sa fille il n'y a aucun doute..." Je n'ajoutai rien d'autre durant de longues secondes. Sans véritablement le vouloir j'imposai un silence presque gênant, interrompu par le serveur du Café, me demandant si je désirais quelque chose. Je commandai un simple thé noir, sans sucre ni lait, en réalité il m'aurait apporté un simple verre d'eau que ça m'aurait été égal. Son intervention avait au moins eu le mérite de me décoincer un peu, évitant de rester paralysé par le stress de cette rencontre. Une fois le serveur parti chercher mon thé je sortis la lettre de Tana de ma poche, posant la tranche sur la table sans pour autant la lâcher. Et alors que j'effleurai ses angles du bout des doigts je poussai un soupir, me lançant une bonne fois pour toute. - Ce que je vais te demander n'est sans doute pas très sympathique. J'imagine, non, je sais qu'écrire cette lettre t'a demandé beaucoup d'effort... Mais plus que des mots couchés sur papier j'ai besoin de l'entendre, de te voir le dire là devant moi... Dis-moi s'il te plaît... Qui tu es, et quel est ton lien avec moi."
Une demande complètement égoïste. Une épreuve pour elle, dans le seul but de me convaincre de quelque chose que je savais déjà mais ne parvenais pas à admettre. La preuve était devant mes yeux, certes elle ressemblait à Nixie mais je ne pouvais le nier, plusieurs de ses traits étaient également les miens. Pourtant ma conscience, encore elle, voulait absolument placer la logique devant le reste, me disant qu'une lettre c'était bien joli, mais ça ne valait pas la parole d'un Fey. Je voulais une preuve concrète, la vérité sortant de sa bouche juste là, maintenant, face à face. - Pardonne-moi... Tu as sans doute attendu ce moment depuis très longtemps et voilà que je t'impose de dévoiler de vive voix ce que tu as eu tant de mal à poser sur cette lettre... J'ai juste... Je n'arrive pas encore à réaliser." Il était temps que j'arrête de parler pour ne rien dire et que je la laisse répondre à son tour. De retour avec mon thé, le serveur fut pour ainsi dire ignoré alors que j'attendis tendu la réaction de Tana. Un peu vexé, le pauvre homme posa la tasse à côté de la lettre et repartit sans un mot...
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