Plus tôt dans la journée. Morrigan était dans les jardins du Sithin Unseelie ; Sa tombe avait été refermée, laissée là comme symbole silencieux d'un temps révolu. Cette idée logique et acceptable de vouloir enlever sa propre sépulture lui avait traversé l'esprit.. Et finalement, elle avait fait le choix de la conserver. Pourquoi ? Simplement pour garder le souvenir d'un autre temps.. Pour ne jamais oublier les blessures causées par l'Exil forcé. Pour ne jamais se défaire de cette idée selon laquelle elle n'était plus cette Reine d'un temps jadis, abimée par une estime bafouée. Elle était différente. Elle le revendiquait, envers et contre tout.
Etrangement, ce n'était pas ce mantra qu'elle se répétait en observant la tombe à la lueur d'un soleil étouffé. Bien au contraire, la Morrigan était plutôt dans une autre optique bien plus inquisitrice. Enfoncée dans le sol meuble du jardin, la lame de son antique épée luisait d'une douce lumière salvatrice. C'était de sang et d'ambre, c'était tout simplement beau au regard de la Sidhe. Elle aimait plus que tout observer Baothmhian, afin de se rappeler ces épiques batailles et ce temps passé côte à côte. Cela faisait des jours que la Reine avait retrouvé son instrument de guerre, mais cela ne voulait pas dire qu'elle s'était départie de sa culpabilité. Au contraire, cette dernière était plutôt lancinante, brutale et même tenace. Elle la rongeait, tout autant que l'incompréhension.
L'incompréhension.. Parce que cela faisait plus de six millénaires que la lame était sienne, et ce n'était qu'aujourd'hui qu'elle comprenait que Baothmhian n'était autre qu'un fragment d'artéfact. Enfin.. Un fragment, elle n'en était pas encore certaine, bien que cette sensation ne trompait pas vraiment. Elle était unique, propre à Terreur Mortelle, tout en étant le fruit de la singularité de l'épée de la Reine Fantôme. C'était complexe et tout à la fois simple.. Inutile de dire que la réflexion lui arrachait un soupir tandis qu'elle venait reprendre en main son épée. En parallèle, la seconde remontait le pan de sa robe voilée.
« A qui vas-tu en parler ? » « A Nuada, il en saura peut-être d'avantage que moi. » « Et au créateur ? » « .. Pas maintenant. »
En unique réponse, l'épée émettait un couinement avant de retomber dans son silence tandis que la lame perdait de sa superbe afin de redevenir une garde finement ciselée. Morrigan la replaçait à sa ceinture afin de quitter les jardins Unseelies. Elle savait où se trouvait Nuada et elle n'avait pas envie d'attendre.
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Plus tard dans la journée. Une brise printanière soufflait dans le sillage de Morrigan tandis qu'elle retenait un râle de mécontentement. Elle savait que Nuada n'était pas le seul à avoir les réponses à ses questions. Elle savait que Sithchenn était une option totalement viable, afin d'éclairer sa lanterne.. Tout comme elle avait pleinement conscience que Danu pouvait lever le voile sur un énième coup du destin. Mais la Morrigan était têtue : Elle ne voulait que Lui, son Roi, son Epoux, son Grand Amour. Il avait les réponses, et surtout, elle avait besoin de lui.
Ce besoin urgent, elle ne l'expliquait pas. Quelque chose la tiraillait : C'était un mélange subtil de culpabilité, de réflexion et d'inquiétude. Peut-être que cela était lié aux évènements de Beltaine qui n'avait pas été si paisible, peut-être que cela se limitait à sa propre sphère et qu'elle craignait simplement de retrouver celui qu'elle avait toujours considéré comme un père.. Elle n'en savait rien, la Reine Unseelie. La seule certitude qu'elle possédait était qu'elle se sentait en pleine tourmente.
Se voilant du masque de la sérénité, elle attendait sur le quai du Carrosse, avant que ce dernier ne fasse sa halte. Elle allait prendre le train en marche, de manière presque littérale, et pour l'occasion, elle avait opté pour une allure plus simpliste. La Reine n'était plus parmi la foule, elle était une rouquine voilée de glamour, presque ordinaire.. Si on ne tenait pas compte de sa longue chevelure de feu qui était retenue par quelques attaches. Un jean clair retombait sur ses talons tandis qu'un haut de voile enlaçait son torse, dissimulant ainsi la garde de son épée attachée à sa ceinture.
Après quelques minutes d'attente, le Carrosse fût annoncé, et à l'arrivée de ce dernier, elle grimpa à son bord, sans plus de cérémonie. Seulement.. Trouver Nuada dans un " train " pareil était une mission impossible. Ainsi, elle marmonna quelques mots, une supplique, une demande qu'Elle était la seule à pouvoir entendre. Un éclat teinta à sa seule oreille jusqu'à ce qu'elle puisse se mettre en marche. Il était là-bas, Elle concédait à lui dire pour apaiser l'esprit de Morrigan. Cette attention arracha un sourire à la principale concernée, ainsi que quelques mots murmurés tandis qu'elle inspirait bien plus tranquillement en déambulant parmi les voyageurs.
Ses billes tricolores passaient çà et là jusqu'à se focaliser sur une chevelure qu'elle reconnut aussitôt. Un sourire éphémère finit par fleurir sur ses lèvres jusqu'à mourir quand elle ambitionna de s'installer aux côtés de Nuada. Une jeune dame semblait décidée à en faire de même : Morrigan l'arrêta littéralement dans son avancée en l'observant d'une œillade glaciale. « C'est ma place. » C'était sec, les mots claquaient sans la moindre cordialité tandis que son regard tricolore vacillait pour laisser apparaitre l'ombre des cercles concentriques. La demoiselle restait figée pendant un moment avant de finalement déguerpir sans demander son reste.
En voyant la pauvre enfant prendre les jambes à son cou, la Morrigan ressenti une vague de satisfaction qu'elle ne prit pas la peine de dissimuler avant de s'installer dans le siège près de Nuada. « Bonjour. »
Un sourire charmant était alors esquissé alors qu'elle se penchait pour venir déposer un baiser à la commissure de ses lèvres. « Je te cherchais. » Non ? Vraiment ? Cela semblait presque trop évident. « Ton voyage s'est bien passé ? » Il semblait doublement évident que Morrigan aurait pu attendre qu'il arrive au Sithin pour lui poser ce genre de question. « Enfin.. Il se passe bien ? » Bon.. Dans le fond, Morrigan ne voulait pas agresser littéralement Nuada avec ses informations et questionnements personnels, elle préférait prendre de ses nouvelles, avant toute chose. D'ailleurs, ses doigts glissaient jusqu'à sa main afin de s'y accrocher.
D'humeur égale, Nuada s'était décidé à passer sa journée à l'extérieur, loin du Sithin, loin des problèmes de la Cours. Jouer les politiciens ne lui allait pas du tout, cela l'ennuyait au plus haut point. Il avait toujours préféré rester dans l'ombre, garder ses opinions pour lui et obéir bravement sans poser de questions. Cette couronne qui avait changé la donne lui cassait les pieds, au sens large du terme. Même Dian aurait été meilleur roi que lui, et Dagda avait cela dans le sang. Il s'était longtemps dit qu'il était différent de ses frères, que le pouvoir n'avait aucun intérêt pour lui.. Et pourtant, la lourde tâche de garder les Unseelies à flot lui incombait. Ce poids sur ses épaules n'allait pas en s'arrangeant : depuis plusieurs semaines, ses cheveux noirs de nuit commençaient dangereusement à flirter avec des mèches argentées de plus en plus nombreuses. A ce rythme, il allait perdre son ébène pour de l'argenté. Déjà qu'il avait la peau extrêmement pâle, il se doutait qu'il risquait de ressembler à un fantôme plus qu'à un Fey digne de ce nom. A cette pensée, il émit un soupir.
Depuis son départ d'Angleterre, car oui, il y était allé en utilisant son pouvoir.. il n'avait rencontré personne et personne ne l'avait emmerdé. Même dans le carrosse, le peu de Fey qui l'avait emprunté était resté à bonne distance. Il ne saurait dire si cela venait de sa position ou du regard glacial qu'il avait lancé à ceux qui avaient tenté la discussion. De toutes les manières, il avait placé un bon morceau de Glamour autour de lui : ses cheveux sombres étaient d'un châtain oscillant entre le clair et le foncé, coupés courts et ses yeux avaient pris la teinte bleutée très humaine. Il n'était qu'un voyageur comme un autre qui souhaitait à présent rentrer chez lui. Pire encore, il s'imaginait toutes les discussions qu'il allait devoir avoir : avec les Seigneurs Nobles et avec son fils. Le fait même d'avoir une omniscience pénible durant la nuit l'avait mis au pied du mur quant à certains secrets qu'il aurait préféré ignorer. Comment l'annoncer à Morrigan ? Et surtout, comment expliquer à Liam qu'il faisait une énorme connerie ?
Un nouveau soupir et une main qui passait sur son visage pour tenter de passer à autre chose. Encore une trentaine de minutes et il pourrait se planquer dans ses appartements, dans les bras de sa femme qui ne lui poserait aucune question.. normalement. Mais voilà, les espoirs pouvaient être détruits en l'espace d'une seconde à peine. Sa femme justement était présente. Il ne savait pas si cela venait de leur lien ou de Danu, ou d'un-je-ne-sais-quoi de bizarre, mais il releva les yeux en ressentant sa présence. Son attention tomba sur cette femme qui avait eu pour ambition de s'installer à côté de lui. Mauvaise idée. En temps normal, sans Morrigan, il l'aurait envoyé de l'autre côté du carrosse.. mais avec sa femme de présente, elle s'en chargerait d'elle-même. Il ne put s'empêcher d'esquisser un sourire à la réaction de Morrigan, ne lançant qu'un bref regard à la femme qui allait voir ailleurs si quelqu'un d'autre y était.
« Bonjour. » Il lui rendit à peine le baiser effleuré qu'elle posait à la commissure de ses lèvres. Et, s'il était ravi de voir qu'elle était là, il se demandait bien le but de sa présence. Il fallait une tonne de coïncidence pour qu'elle se retrouve sur le même trajet que lui, à la même heure et dans le même wagon. Le suivait-elle ? Avait-elle cru qu'il était du genre à la tromper ou autre ? Mais la réponse venait rapidement : elle le cherchait.. et elle l'avait trouvé. Fronçant les sourcils, Nuada pencha le visage de côté avec une expression extrêmement curieuse. « Tu as besoin de quelque chose ? » Il se doutait de l'urgence de la situation, autrement elle aurait attendu son retour au Sithin. La question sur le bon déroulement de son voyage passait complètement à la trappe.. il avait bien compris que ce n'était que des questions rhétoriques qui n'étaient là que pour éviter l'agression pure et simple. Elle le cherchait, elle l'avait trouvé, elle pouvait à présent entrer dans le vif du sujet.
« Çà doit être grave pour que tu ne m’aies pas tout simplement attendu au Sithin. » Non, ça ne l'était pas, mais il ne pouvait pas le savoir. Son attention se porta sur cette main qu'elle glissait dans la sienne et il referma ses doigts entre les siens. Un jour peut-être.. un jour, ils allaient pouvoir être ensemble sans que les choses ne soient compliquées, ou que l'un ait besoin de l'autre autrement que sentimentalement parlant. Il aurait pu lui dire qu'elle était toute en beauté, lui faire quelques compliments mais il fallait avouer que l'arrivée impromptue de Morrigan n'allait pas du tout dans ce sens. Il commençait déjà à s'inquiéter, oui, vraiment.. alors elle allait devoir lâcher le morceau rapidement.
Depuis leurs retrouvailles, Morrigan n'avait eu de cesse de demeurer aux côtés de Nuada. Certes, ils n'étaient pas l'un sur l'autre, à toutes heures du jour et de la nuit, mais.. La Reine Unseelie ressentait ce besoin - malgré elle - de rester aux côtés de Nuada. Parce qu'elle voulait rattraper le temps perdu, parce qu'elle avait besoin de lui.. Parce qu'il lui avait terriblement manqué. Et cela se justifiait d'autant plus en temps de trouble. Son apaisement ne pouvait passer qu'au travers du regard du Sidhe, lorsque ce n'était pas grâce à son contact. Dans le fond, la Morrigan avait pleinement conscience que cette addiction, ce besoin irrépressible de l'Autre était la conséquence d'une trop longue séparation, mais également et surtout qu'elle était l'effet engendré par le Grand Amour.. Ce mal si fort et si brutal. Elle le savait et elle en avait que faire.
Parce qu'il était le seul à compter à ses yeux. Effet ou non, conséquence ou non. Il était sa réalité. Et elle le ressentait d'autant plus lorsqu'elle s'installait à ses côtés. Sa main dans la sienne, son regard solaire plongé dans ses iris d'une nuit remplit d'étoiles.. Cette alchimie immédiate provoquait un apaisement unique qu'elle appréciait à sa juste valeur : Il n'avait pas de prix. Un sourire venait répondre à celui de Nuada alors qu'elle demeurait un moment silencieuse à l'observer.
S'ils devaient se damner, elle voulait qu'ils le fassent ensemble.
C'était extrême de penser ainsi, elle le savait. Mais la Morrigan refusait qu'une nouvelle épreuve en vienne à les séparer, pas encore.. Pas cette fois. Inspirant profondément pour chasser toutes idées noires, elle laissait son visage signer à la négative à sa question. Bercée entre deux eaux, elle restait ainsi à l'observer jusqu'à ce qu'il aborde l'hypothétique gravité de leur sujet de conversation. Elle se ressaisissait alors en se redressant sensiblement dans son fauteuil.
« Ah non. Il n'y a pas mort d'homme.. Enfin, manière de parler. » Oui, l'expression était plutôt bien trouvée pour le coup. « J'avais simplement besoin de te voir, immédiatement, et je n'avais pas envie d'attendre. Est-ce mal ? Ton épouse est peut-être trop collante ? » Qu’elle ponctuât sur le ton de l’humour alors que son visage se penchait sur le côté tandis qu'elle détachait sa main de la sienne. Ses doigts ainsi libérés venaient attraper la garde de son arme pendant qu'elle jetait un coup d'œil circulaire sur l'ensemble du wagon. « J'ai besoin que tu voies quelque chose, c'est important... Peut-être pas vital mais tout de même important. »
Au moins, elle le précisait, ainsi.. Le Sidhe n'avait pas de quoi s'inquiéter. Portant son regard sur la garde qu'elle coinçait entre les doigts de sa main droite, la Rouquine semblait pourtant préoccupée en venant déployer la lame de manière à la placer sur leurs genoux, à l'abri des regards. Elle attrapait ensuite la main de Nuada afin de le laisser se saisir de l'arme. « Que ressens-tu ? » La lame vibrait, silencieuse, entre les doigts de Nuada. L'ordre avait été donné et Baothmhian n'avait pas songé un seul instant à désobéir. Son chant silencieux se faisait entendre sur la chair de Morrigan et de Nuada et eux seuls étaient capable de reconnaitre cette harmonie unique. Cette harmonie digne du chant d’un artéfact.
La Reine Unseelie laissa passer de longues secondes avant de finalement glisser son regard de la lame d'ambre et de sang au visage de son Âme Sœur. « Je n'ai fait le rapprochement qu'après le couronnement.. Du moins, après avoir retrouvé Baothmhian. J'ai alors réalisé que Terreur Mortelle et Baothmhian étaient.. » Un couinement étouffé, une complainte émergeait depuis la lame ; Et cette dernière était bien assez suffisante pour inspirer un silence juste à la Sidhe qui esquissait un léger sourire en glissant sa main sur celle de Nuada qui tenait jusqu'à là la garde.
Prête à ajouter quelque chose, sa bouche s'ouvrait pour se refermer tandis qu'un raclement de gorge se faisait entendre sur la droite, vers l'allée, de Morrigan. Cette dernière redressait son regard d'or et d'émeraude vers un homme qui l'observait longuement. Son expression trahit en quelques secondes des émotions contraires : L'agacement fit place à la surprise, puis aussitôt au sourire charmant.
« Les armes sont interdites dans le Carrosse, Ma Dame. » Qu'il lui lançait sur un ton mielleux, visiblement décidé à jouer sur le double tableau du moralisateur et du courtisan. La Sidhe haussa instinctivement un sourcil en l'observant faire avant de couler une œillade vers Nuada et de revenir finalement à son interlocuteur. « Cela m'est égal. » Qu'elle tranchait avec calme, le tout agrémenté d'un sourire politiquement correct. Elle faisait signe au gentil bonhomme de s'éloigner avant d'en revenir à Nuada, visiblement bien plus intéressée par leurs affaires que par leur intrus. « Alors ? »
Elle était la seule à avoir droit au sourire parfaitement sincère de Nuada, un sourire qu'il ne gardait que pour elle.. sans doute parce qu'elle était la seule à provoquer ce genre de réaction chez le Sidhe. S'ils étaient constamment l'un avec l'autre cela n'était en effet pas la seule conséquence de leur séparation mais bien d'une alchimie qu'ils avaient créé dans le plus grand des secrets. Leur monde était en perdition sur plusieurs points, pourtant Nodens se disait que tant qu'elle était à ses côtés, tout pouvait voler en éclat, il n'en avait rien à faire. Oh ce n'était pas une pensée digne d'un Roi, en effet, mais c'était une pensée personnelle qu'il ne faisait pas partager. Instinctivement, il se pencha pour poser ses lèvres sur la joue de la rouquine, comme un enfant amoureux qui cherchait à voler quelque chose d'une future partenaire éternelle. Et c'était aussi une réponse au besoin qu'elle avait eu de le voir sans avoir pu attendre. Pour de nombreux regards extérieurs, cette relation était empoisonnée, assez terrible quand on y pensait : ils ne pouvaient pas passer plus d'une dizaine d'heures loin de l'autre, comme s'ils avaient toujours peur d'une nouvelle séparation, d'une nouvelle souffrance causée par une énième partie. Ils avaient appris durement que l'amour et la famille pouvaient autant heurter leur lien qu'une lame en plein cœur. Il l'avait déjà perdu une fois et il était heureux de savoir qu'elle n'aimait pas non plus être éloignée de lui trop longtemps.
« Tu ne l'es jamais assez.. » répondit-il sur le ton de la confidence avant de détourner son regard en direction des mains qui se détachaient. Elle prenait son arme, ce qui était plutôt surprenant au vue du début de conversation. Mais c'était sans doute la véritable raison qui l'avait poussé à le chercher. Posant son coude sur la garde de Terreur Mortelle qui se tenait dans son fourreau entre ses jambes, il se replaça convenablement en se tournant en parti vers elle. « Un soucis avec ton arme ? » Il l'avait planqué dans sa tombe quand elle était morte et l'avait trimballé avec lui bien longtemps mais il n'avait jamais eu l'envie de la déclencher. Il y avait deux raisons à cela : il ne savait pas si la lame l'accepterait et aussi parce que la voir lui aurait bien trop rappelé la perte qu'il avait connu. Il observait donc Morrigan déployer la lame sans vraiment réagir. Cependant, il ne s'attendait pas à ce qu'elle vienne prendre sa main pour qu'il se saisisse de l'arme. Les sourcils haussés, il hésita franchement à se laisser faire mais n'opposa pas de résistance insurmontable.
Mais voilà, ce qu'il ressentit ne lui plaisait pas vraiment. Pire encore, il eut un bref sentiment de peur qui traversa ses iris avant qu'il ne retire sa main rapidement. Non, il n'avait pas eu le temps de profiter de ce moment avec Morrigan pour la bonne et simple raison qu'il avait eu l'impression d'avoir un écho dans le crâne pouvait aisément provoquer une migraine – fait rare chez les Feys. Automatiquement, il posa ses deux mains sur la garde de Terreur Mortelle, cherchant un réconfort et un arrêt à cet écho sonore qui continuait de résonner dans son crâne. « C'est impossible. » Non. C'était impossible. Claiomh Solais était unique, il en était certain. Sa mère l'avait forgé elle-même comme tous les autres artefacts, et elle n'en avait pas fait de copie. De même, il ne s'en était jamais séparé.. comme si l'arme l'avait toujours aidé à rester proche de sa mère malgré sa disparition dans sa jeunesse. Pourtant, il ne pouvait pas nier que l'épée de Morrigan possédait ce quelque chose qui ne trompait pas.
Reprenant ses esprits, Nuada émit un soupir de réflexion et.. il se souvint d'un moment, d'un moment tout particulier où il perdit.. non. Qui aurait pu la ramasser ? Personne. Pourtant, il l'avait cherché partout durant des jours sans y arriver. « Qui a forgé ton arme ? » Ce n'était pas une question étrange, elle était plutôt logique au vue de la situation. Pourtant, il n'eut pas besoin de deux heures pour recoller les morceaux. « J'ai cherché le fragment pendant des jours entiers, je vois que quelqu'un l'a trouvé avant moi. » Pourtant, il n'eut pas le temps de finir. Ses yeux se posèrent sur l'abruti qui venait les déranger durant leur discussion. Les armes étaient interdites ? Et s'il le lui montrait en lui collant Claiomh Solais en travers de la gorge ? Un froncement de sourcil répondit à la réaction de l'inconnu qui.. en plus.. se faisait mielleux avec sa femme. C'était une blague ? Visiblement pas. Son regard s'éclaira durant une seconde à peine et le type disparut purement et simplement. Sa jalousie maladive et son mauvais caractère eut raison du pauvre bougre. Il s'en occuperait plus tard : s'il était Seelie, il le passera à tabac durant quelques heures avant de le rendre à sa Cour, s'il était Nocker, il le tuerait purement et simplement.. et s'il était Unseelie.. bah.. il le laisserait dans la Prison des Miroirs éternellement et y passerait pour se défouler de temps en temps.
Une fois sa contrariété passée, il en revint donc à Morrigan mais eu besoin de quelques secondes avant de replacer le sujet de conversation. Il était entrain de dire quoi ? Ah oui, l'arme. « J'ai perdu un morceau de Claiomh Solais après un combat. Un morceau de sa pointe.. c'était la première fois, elle ne s'était jamais brisée. Je l'ai retrouvé. » termina t-il en montrant Baothmhian du menton. « Celui qui a forgé ton arme a dû trouver ce fragment et l'a mélangé a du métal Féerique. Je ne m'étais pas inquiété, le fragment était bien trop minuscule pour en faire quelque chose. J'ai eu tort. » Pour sûr, s'il l'avait appris plus tôt il aurait tenté de détruire Baothmhian même en connaissant son possesseur. Un morceau d'un artefact comme Claiomh Solais qui se balade n'était pas du tout une bonne idée. Bien sûr, il faisait confiance à Morrigan.. et surtout, le destin voulut qu'elle fut celle qui récupéra un morceau de lui avant même qu'ils ne se rencontrent. Car oui, fondamentalement, Terreur Mortellle était une partie de lui, une partie qu'il ne quittait jamais. « Baothmhian est un morceau de Claiomh Solais.. fais-y attention. Avec la disparition du Chaudron et l'impossibilité de trouver la localisation des autres artefacts, l'on pourrait vouloir s'en emparer. N'en parle à personne. » C'était une simple demande avant qu'il ne puisse avoir d'autres informations. « Je pense que tu devrais quand même en parler au forgeron qui s'en est occupé, il devrait avoir plus de réponses que moi sur le sujet. » Est-ce qu'il avait autre chose à rajouter ? En effet. « Quand j'ai perdu un morceau de Claiomh.. tu n'étais même pas encore mariée à Dagda. Ma mère a un drôle de sens de l'humour quand même. »
Jamais, Ô grand jamais Morrigan n'avait considéré que leur relation était toxique. Elle était unique et fusionnelle, oui.. Mais toxique, non. Nuada était, depuis une éternité, une partie d'elle. Il était son souffle, son sourire, son envie de vivre et de batailler envers et contre ce monde. Certes, extérieurement, cela était plus que toxique, parce qu'ils étaient envoutés par des forces qui les dépassaient et ne pouvait lutter contre. Certain appelait ce phénomène Destin, ou Grand Amour, mais pour Elle, c'était son quotidien. Elle dépendait de la lumière lunaire de son Autre, et surement était-ce pour cela que pendant deux millénaires, elle avait été si terne, si éteinte, si brisée. Parce que son absence l'avait rongé jusqu'au plus profond de son âme. Sans Saoirse sur qui elle s'était fait un devoir de veiller, elle serait devenue folle, elle aurait rendu les armes. Danu elle-même n'aurait rien pu faire contre cet état de fait, et surement était-ce pour cela qu'elle avait promis à la Rouquine de mettre fin, un beau jour, à son calvaire. Cette lueur d'espoir, la Morrigan s'y était accrochée comme personne, jusqu'au jour où Ellan Vannin s'était présentée comme une opportunité unique. Autant dire qu'elle ne s'était pas faite prier pour gagner cette île, cet ultime refuge féérique.
Des mois, voire presque un an après, elle ne regrettait pas cette opportunité saisit. Parce qu'elle se sentait à nouveau vivre. Elle avait afin obtenue ce que son cœur déplorait depuis trop longtemps : La présence de Nuada à ses côtés et la réunion de sa famille. Certes, elle ne s'était pas attendue à tant de drames, mais elle avait eu le temps de les digérer et à présent, elle se sentait plus légère, malgré le nuage noir qu'elle ne parvenait pas à chasser de son esprit.
Elle le savait, quelque chose se préparait. La crainte lui rongeait les entrailles, sans qu'elle n'en comprenne réellement la source. Son instinct lui criait qu'ils étaient à l'aube d'une situation conflictuelle.. Un parfum d’orage planait dans l’air. Après le couronnement et Beltaine, il ne fallait pas être Prophète pour le deviner, pourtant, la Morrigan ressentait un autre danger qui lui glaçait le sang et elle détestait cela. Elle était plongée en pleine tourmente et ses maigres instants de sérénité, elle les partageait avec Nuada, les puisant dans son sourire. Dans ce regard qu'il lui adressait, qui lui murmurait que malgré un monde en décrépitude, tout allait bien se passer, parce qu'ils étaient là l'un pour l'autre.
C'était ce même regard qu'il lui adressait, couplé à un sourire qui l'apaisait quasi-instantanément. La commissure de ses lèvres s'étirait en sentant le baiser posé sur sa joue. Ces attentions, elle les aimait plus que tout, même si elles étaient simples et anodines. Comme on le disait souvent, il n'y avait pas de petits bonheurs. « Ne me met pas au défi d'être toujours sur ton dos, tu finirais par ne plus me supporter. » Qu'elle lui murmurait avec un amusement certain. Il fallait avouer qu'ils avaient des caractères potentiellement difficiles tous les deux. Et même si le besoin de l'Autre était implacable, cela n'empêchait pas les éclats de voix. Etrangement, depuis qu'ils s'étaient retrouvés, peu de disputes avaient été ajoutées au compteur de leur relation. Peut-être parce que le temps avait fait son œuvre et qu'ils étaient devenus sages.. Peut-être.
Quoiqu'il en fût, la raison de la présence de Morrigan finissait par faire jour alors qu'elle présentait Baothmhian et qu'elle la déployait sur leurs genoux. La réaction de Nuada lorsqu'il entra en contact avec la garde de l'arme fit arquer un sourcil à la Sidhe qui restait silencieuse pendant de longues secondes. Elle ressentait presque son malaise, et cet éclat dans ses prunelles.. Elle l'avait reconnu. Inutile de dire que cela l'avait inquiété l'espace d'un instant. Laissant sa main s'échapper, elle reportait son regard sur l'arme en effleurant du bout des doigts la garde ciselée. Alors qu'elle redressait son regard d'or et d'émeraude, son attention se reportait sur l'intrus qui avait rapidement disparut.
Ah. C'était efficace comme méthode. Ouvrant la bouche pour la refermer, elle coulait un regard vers son Epoux afin de l'observer pendant un long moment. Un commentaire peut-être ? « Sithchenn. » Non, visiblement, elle éludait le sujet du fey qui venait de disparaitre de leur vu. Dans le fond, cela voulait tout simplement dire qu'elle n'en avait que faire.. Et c'était bien cela. « Sithchenn m'a forgé cette arme. » Son regard se reportait sur la lame en question, une ombre se glissant dans ses prunelles. Elle ne pouvait refreiner cette tristesse qui la prenait au cœur lorsqu’elle pensait à lui. « C'était pour mes vingt ans. Elle a été ma première et seule arme. » Sous ses doigts, elle sentait la garde tressaillir tout en gardant étrangement le silence. Avait-elle, elle aussi, peur de Nuada ? ou alors était-ce la présence de Claiomh Solais qui la forçait au silence. « Un fragment de Claiomh Solais.. C'est ce qu'il me semblait. »
Son regard remontait vers Nuada alors qu'elle l'observait longuement avant d'enchainer. « C'est la seule fois où elle s'est brisée, n'est-ce pas ? » Le destin aimait leur jouer des petits tours. Et pas que le destin. « Je ne suis pas minuscule.. » Que marmonnait enfin Baothmhian, sur le ton de la complainte timide. Cela eu le mérite de faire sourire Morrigan qui jetait un coup d'œil à Claiomh Solais. « Claiomh n'a jamais parlé ? » Non parce que la Sidhe était en train de se dire qu'elle avait récupéré les travers les plus sympathique de l'artefact.
Cette parenthèse rapidement laissée de côté, la Reine Fantôme inspirait profondément en actionnant le repli de la lame. Dans un éclat d'ambre et de sang, cette dernière disparaissait pour ne laisser qu'une garde entre les doigts de la Morrigan. « Je veillerais sur Baothmhian et je serais prudente. Je n'en ai parlé a personne pour l'heure.. Enfin, sauf à toi. » Quant au fait d'aller à la rencontre du forgeron, la Morrigan replaçait la garde à sa ceinture en esquissant une moue tout en acquiesçant d'un mouvement du menton. « Je sais.. Je sais. Il faut que je me présente à lui pour d'autres raisons aussi. Il semblerait qu'il ait cessé de forger après ma mort, il est fortement probable que j’en sois la cause.. Enfin, d'après ce que j'en ai déduit après une discussion avec Credne. J'espère me tromper. » Elle espérait vraiment, mais vraiment.. Se tromper. Mais l'espoir était mince, à ce sujet.
Pinçant les lèvres, elle plongeait dans un silence perturbé jusqu'à finalement se recentrer sur la conversation et ancrer son attention sur Nuada à la mention de Danu, de l'arme et de la drôle de coïncidence.. Qui n'en était surement pas une. Un nouveau sourire plus paisible venait s'esquisser sur ses lèvres. « Cela ne veut dire qu'une chose : Nous étions faits l'un pour l'autre, depuis le début. Peut-être même que je suis née pour être ta moitié. » Vu qu'elle était née quelques temps après lui, l'inverse semblait peu probable. En tout cas, l'idée semblait illuminer son humeur précédemment maussade. « I was made for loving you. » Qu'elle concluait en chantonnant, en se doutant qu'il ne connaitrait peut-être pas la référence. C'était définitivement trop humain.. Mais tant pis ! Elle trouvait que c’était trop bien trouvé.
Nuada ne permettrait pas une seconde séparation. S'il en avait beaucoup souffert, il savait aussi qu'elle avait perdu beaucoup en ne pouvant pas le rejoindre. Pire encore, elle avait sûrement eu vent de ce qu'il lui était arrivé, de son lien ombrageux avec Lizabeth et de son état léthargique, presque suicidaire au fil des années. Il ne se souvenait plus du nombre de fois où il était entré dans sa chambre, du nombre de fois où il s'était regardé dans le miroir en se demandant pourquoi il se levait le matin, pourquoi il revenait le soir, pourquoi il continuait de respirer. Deux millénaires de questionnement, d'abandon total et de renfermement sur lui-même en se disant que finalement, il finirait par disparaître de la surface du monde pour la retrouver dans un monde meilleur. Au fond, sa Mère avait été réellement cruelle pour les deux partis et il lui en voulait toujours pour le choix qu'elle avait fait. Ce n'était pas Morrigan, c'était Elle. Elle qui avait dit non. Elle qui l'avait laissé dans le noir. Elle qui avait fait souffrir Morrigan.. et pourquoi ? Il n'en savait pas plus aujourd'hui qu'il y avait un an.. mais il l'avait accepté parce que sa mère était tout de même La Déesse et qu'il n'était personne pour lui remonter les bretelles.
Mais pour l'heure, même si ces considérations lui passaient par la tête en un millième de seconde, le sourire de Morrigan, son odeur, sa présence, suffisaient à créer un voile entre ses sentiments négatifs et positifs. « Tu peux être fusionnée à moi que tu continueras de me manquer. » répondait-il avec la plus grande sincérité. Ils pouvaient être difficiles, ne pas être d'accord sur tous les points et s'engueuler pour la moindre petite broutille.. il continuerait de l'aimer encore plus et toujours plus fortement. Il était vrai que les disputes se faisaient rares, et cela devait être causé par leur séparation trop longue mais le temps ferait son œuvre, il en était certain et il se doutait qu'elle le savait autant que lui. Mais ils n'étaient pas entrain de discuter de leur relation, ils n'étaient pas assis l'un à côté de l'autre pour jouer les fleurs bleues. Morrigan était venue à lui pour une raison.. et une raison qui inquiétait vraiment Nodens.
Il y avait de quoi : Claiomh était un puissant artefact, pire encore, il était le seul qui avait un véritable propriétaire. Tout le monde savait où l'arme se trouvait.. alors savoir que Terreur Mortelle avait une petite sœur, c'était un peu déstabilisant. Son malaise ne venait pas seulement de ce fait qui avait été énoncé à voix basse, mais aussi de son arme qui – ne réagissant jamais – lui fit ressentir un sentiment d'urgence. Et, en entendant le nom du forgeron, il hocha la tête et ne fit pas du tout attention à ses paroles.. décidément, il était un peu trop détendu quand il était avec elle. « Sithchenn, oui, ton père. » Ce n'était pas ce qu'il fallait dire ? Cela arrivait de temps en temps, que les paroles puissent dépasser les pensées et que l'on se rende compte de la bêtise commise au moment même où la dernière syllabe tombait. Il était bien trop tard pour se rattraper, elle avait des oreilles, elle l'avait entendu et il ne pouvait pas revenir sur ses paroles.. il ne pouvait pas mentir.
Alors, dans une tentative pour le moins désespérée – tout en se tortillant sur place – il rebondissait immédiatement. « Oui, la seule fois.. C'est aussi pour cette raison qu'il reste constamment avec moi. Je n'ai aucune envie de perdre mon arme des yeux ou de le faire souffrir plus que de raison. » On aurait presque dit qu'il parlait d'un être vivant.. et pourtant, il considérait l'épée comme telle. Et là.. Baothhmhian se mettait à parler. Ce n'était pas tant ce qu'elle disait qui surprit Nuada.. mais bien son don de parole. « Je n'aime pas les armes Féeriques qui peuvent parler. » Déjà, cela venait du cœur. Les armes étaient des objets, enchantés soit, mais des objets quand même. Pire, quand ces objets se forgeaient un caractère au fil des années, cela devenait tout bonnement insupportable. « Claiomh ne parle pas. » Non. Claiomh ne parlait pas du tout.. cela ne voulait pas dire que l'épée ne faisait pas passer ses émotions, bien au contraire, mais jamais un mot n'avait été entendu. « Et je préfère cela.. Peut-être que Baothmhian a volé la parole à Claiomh. » Bah c'était grâce à l'épée de Morrigan, une bonne chose.
« Il me fait ressentir l'urgence, le danger, la plénitude.. enfin, pas mal de sentiment.. mais non, et je remercie la Déesse pour son silence éternel. » Le type qu'il avait fait disparaître ? Oh, Nuada l'avait déjà oublié.. il était bien trop accaparé par ces histoires d'artefacts. Il observait la lame s'évaporer et son malaise devint moins palpable, il se détendit l'espace de quelques secondes. « Que cela reste ainsi.. c'est mieux pour tout le monde. » Il lui faisait confiance, il savait qu'elle prenait toujours les bonnes décisions et il n'aurait pas pu mieux choisir, comme propriétaire, pour ce fragment d'artefact. Les lèvres pincées, il ne répondait plus rien sur le forgeron en question. Il avait fait une bourde, parce que Sithchenn lui avait donné cette information capitale de paternité parce qu'il n'avait pas eu le choix mais jamais il n'aurait voulu que Nuada le balance ainsi. Pour sûr, le père de Morrigan risquerait de mal le prendre. « Bien sûr.. » Non, vraiment, il ne savait plus où se mettre. Quel idiot.
Se raclant la gorge, il vint glisser une main le long de la cuisse de Morrigan. « Je suis ravi que mon Grand Amour soit une si belle femme.. Si ma Mère a un drôle de sens de l'humour, elle a aussi le sens de l'esthétique. » Forcément, elle était belle.. pas sûr que si elle avait été laide comme un poux elle aurait attiré le regard de Nuada. « Je suis très superficiel. » Et aussi incapable de comprendre ce qu'elle chantonnait.. pour preuve, il haussa un sourcil plein de curiosité. « Tu as passé trop de temps parmi la vermine. » Nodens n'avait jamais été très proche des humains mais il ne les avait jamais haïs. Non, cette petite appellation était arrivée à la première guerre.. quand les humains avaient décidé que les Feys étaient trop forts, trop anormaux pour vivre parmi eux. Cette intolérance lui avait glacé le sang et depuis, il ne pouvait plus les voir en peinture. « Ce sont les seuls être au monde qui n'évoluent que pour détruire ce qui les entoure, je ne les aime pas. Ne m'en parle pas. » Oui oui, il se doutait que la référence venait du monde des humains.. un monde qu'il exécrait.
La séparation. Ce simple mot, ce concept, cette idée, était d'une cruauté sans nom selon la Morrigan. Avoir subi la perte de Nuada l'avait transformé, parce que si elle s'était forcée à exister, ce n'était que pour Saoirse. Elle avait accepté d'avancer dans un monde aux antipodes du sien afin d'élever le fruit de leur Grand Amour, pour qu'il ne se perde pas comme elle avait pu s'égarer. Evidemment, elle avait eu vent de l'état de Nuada, cela lui avait valu des jours de silence et de souffrance, enfonçant son cœur, son corps et son âme dans une agonie contre laquelle elle avait eu tout le mal du monde à lutter. La déesse Mère, elle-même, avait eu un véritable travail de fond pour soutenir Morrigan, surement était-ce d'ailleurs lors de cette expérience macabre qu'un lien s'était créé entre Elles. Danu était passée de la Déesse Suprême inaccessible à une partie de la Reine Fantôme, un murmure qu'elle avait toujours écouté, au détriment de son propre jugement. Eteinte durant des millénaires, elle avait suivi aveuglement les directives de la Mère de tous les feys, en s'imprégnant de l'idée selon laquelle son jugement était plus juste que le sien, à elle. Parce que dans le fond, Morrigan avait statuée que c'était ses choix qui l'avait mené jusqu'à sa perte.. Leur perte. Et elle ne se l’était pas encore vraiment pardonné.
Depuis une année, elle avait la sensation que son existence avait retrouvé un sens. Auprès de Nuada, elle avait longuement réappris à être elle-même. Elle s'était éveillée d'un long sommeille douloureux afin de retrouver ses esprits et ses instincts. Et aujourd'hui, malgré les nuages noirs qui planaient au-dessus d'eux et de la Faërie de manière plus globale, elle se sentait heureuse. Cette plénitude, ce sentiment positif, elle le chérissait à chaque instant, même si l'inquiétude ne cessait de s'imposer dans son cœur. La prophète en elle retrouvait son éclat d'antan, ressentant l'amorce de funestes jours. Si son esprit n'avait pas envie d'y croire, elle ne pouvait ignorer l'alerte silencieuse. Au lieu de cela, elle l'encaissait et cherchait les instants de paix auprès de Nuada, comme elle pouvait le faire dans le Carrosse, en cet instant.
Mais cela, c'était sans compter la bourde de Nuada. Si Sithchenn était un sujet qui avait tendance à la perturber, elle ne pouvait nier que l'annonce de Nodens la laissait sans voix. Que venait-il de dire ? Quoi ? Son .. Père ? Non. C'était impossible. Inconcevable. Ouvrant la bouche pour mieux la refermer, la Morrigan fixait sans discontinuer son Âme Sœur. Et fort était de constater qu'il était mal à l'aise face à ses propres paroles. Elle avait la sensation qu'il venait d'ouvrir accidentellement la boite de Pandore. « Pardon ? » Qu'elle finissait par articuler avec difficulté. Instantanément, il venait à changer de sujet. Mais l'histoire des armes n'avaient plus aucune importance à ses yeux, la Reine Fantôme était plutôt propulsée vers un passé qu'elle s'était œuvrée à oublier. La présence de Sithchenn tout au long de son début de vie, sa bienveillance et sa protection face à sa mère lui revenait de plein fouet. Et ce regard, qu'il lui avait si souvent adressé, plein de regret et d'affection, elle s'en rappelait, il revenait la hanter. L'évidence était là, Morrigan ne pouvait la nier ou l'esquiver d'une quelconque manière.
Un frisson parcourait son derme, ses prunelles tricolores s'illuminaient et elle détournait finalement le regard. Six millénaires sans mettre un nom sur celui qui aurait dû être son père.. Elle se sentait soudain diablement coupable de ne pas avoir cherché à savoir. Encore une fois, l'éducation de sa mère avait fait ses ravages, parce qu'elle l'avait amené à ignorer ses racines. Ernmas lui avait souvent dit que les légendes ne se nourrissaient pas de leur provenance mais plutôt de leur destination.. Quelle manière alambiquée de faire oublier à sa fille son père.
« C'est un peu pareil pour moi.. » Morrigan marmonnait sans conviction ces quelques paroles afin de suivre le fil de la conversation. Mais en toute honnêteté, elle avait décroché. Son regard ne mentait pas sur son trouble ; d'autant plus qu'elle ne prenait pas la peine de le dissimuler. Un mélange de colère et de tristesse s'imprimait dans ses iris alors que finalement, son visage signait à la négative, comme pour balayer la conversation et revenir brutalement en arrière. « Sithchenn est mon père ? Comment le sais-tu ? Pourquoi ? Et pourquoi est-ce que je l'ignore ? Est-ce encore la faute de ma mère ? » Les questions fusaient et le malaise grandissait au sein des entrailles de Morrigan. Que le passé était cruel.
« Il ne m'a jamais rien dit, pourquoi ? Je ne comprends pas. Pour.. » Un soupir passait la barrière de ses lèvres alors qu'elle glissait une main sur son front en fermant les yeux. Elle ne pouvait qu'imaginer ce qu'il avait subi en étant séparé de son enfant, parce qu'elle était elle-même une mère à qui on avait enlevé son enfant. Mais dans le fond, s'il l'avait voulu, il aurait pu se montrer.. Et à cette idée soudaine, Morrigan sentait à nouveau la colère la prendre au corps. « Et pourquoi ne s'est-il jamais manifesté ? Je n'étais pas assez importante à ses yeux pour qu'il s'implique ? » La colère était transvasée d'un parent à l'autre, et la Reine Fantôme ne savait plus vraiment où donner de la tête avant de finalement lâcher prise pour revenir, paradoxalement, à un peu de contrôle.
« Les parents sont une plaie, voilà, c'est dit. Et je le pense. » C'était pour Nuada et pas seulement. Elle savait que si elle était entendue par qui de droit, cela La ferait réagir. Mais elle s'en fichait ! Elle était remontée, suffisamment pour pester, mais pas assez pour être en colère de manière totale et absolue. « Sitchenn.. Mon père. Qui a forgé mon arme avec le fragment de Claiomh.. » Eh bien, si tout cela n'était qu'un simple hasard, alors, elle ne s'appelait plus Morrigan.
Et subitement, elle changeait de sujet. « Et bien sûr que je suis une belle femme. » Vraiment, elle choisissait ce qui l'arrangeait dans la conversation. Ou alors, c'était plutôt une manière de raccrocher les waggons. « Remarque, tu es tout aussi beau, mais c'est pour cela que nous allons si bien ensemble. » Et elle était fière, d'elle, d'eux. Tout simplement, en venant glisser sa main sur la sienne. Pour Morrigan, ce n'était pas être hautain que d'être réaliste lorsqu'on était un Sidhe.