Tana-Kèr s’éveilla sur son petit lit, un livre inconfortablement coincé sous sa tête. Elle se frotta les yeux et regarda la minuscule pendule sur sa table de chevet. Une heure trente du matin. Elle s’était endormie alors qu’elle relisait pour la énième fois le passage où Emma Bovary avouait à son amant Rodolphe qu’elle était endettée jusqu’au cou. Elle avait rêvé de cette femme habillée à la mode du XIXe siècle assise et pleurant sur les genoux de son bien-aimé en lui disant qu’elle et son mari n’avaient plus un sou. Elle s’était alors réveillée groggy après avoir vécu en songe la mort de l’héroïne. Elle avait l’impression d’avoir le goût amer du cyanure dans la bouche.
Elle posa le livre sur la table de chevet et se retourna sur le matelas. Sur le flanc gauche. Sur le flanc droit. Sur le ventre. Sur le dos. Peu importe la position, le sommeil ne venait pas. Il ne venait plus. Alors, irrémédiablement elle pensa à son frère ainé : le dieu du Sommeil. S’il avait été là, il lui aurait délicatement caressé le front, il lui aurait murmuré des mots tendres. « Endors-toi Tana-Kèr. » Entendit-elle souffler à son oreille. Les voix s’étaient également réveillées. « Endors-toi pour toujours. » « Oui, toujours. » « Le sommeil est si doux. » « Oui, si doux. » « Le sommeil est la mort. » « Mort. » « Il est mort. » « MORT. » « MORT. » « MORT. » se mirent-elles criaient dans ses oreilles. Elle se redressa en sursaut. Le sommeil venait totalement de l’abandonner. Elle reprit le livre et s’évertua à lire les pages écrites par Flaubert, mais elle n’y arrivait pas. Sa vue se troublait. Son esprit vagabondait. Ailleurs. Mais pas dans le monde de Madame Bovary. Alors elle sortit du lit. Cheshire dormait à ses pieds. S’il n’avait pas bronché quand elle s’était battue avec son lit, il manifestait maintenant son mécontentement. Il la fixa avec ses grands yeux orange et sembla lui demander ce qu’elle fabriquait. « Pourquoi est-ce que tu ne dors pas ? » Il sauta du lit et alla alors s’allonger sur un tapis, il tourna en rond quelques secondes avant de se coucher et se mettre à ronronner comme un petit moteur. Elle posa un pied à terre et se dirigea vers la fenêtre de sa nouvelle demeure. Elle avait pris possession de cette villa depuis quelques semaines à peine. Des boites et des cartons étaient encore empilés dans un coin. La maison n’était pas totalement meublée et la plupart des objets de valeurs de la famille trônaient dans un grand coffre fort à New York. Elle devait s’en occuper. Cela faisait maintenant plusieurs années que sa mère avait disparu... Elle n’en avait jamais eu le courage de le faire. Elle avait déjà pris des années pour faire ouvrir le testament et découvrir les derniers mots de la défunte.
Les rues du village du domaine Leanhaun étaient toujours animées même en cette heure tardive. Les feys qui résidaient ici étaient des fêtardes. Ils aimaient la musique, le bon pain et le bon vin. Ils pouvaient rester éveillés jusqu’à l’aube et célébrer encore le soleil le jour d’après. Tana avait fait quelques fêtes à son arrivée. Elles avaient eu le mérite de lui vider totalement la tête, de ne plus penser ni à son frère, ni à sa mère, ni à son père fraichement retrouvé. Elle avait hésité à intégrer cette maison Noble. Était-elle à sa place parmi cette bande de roublards, elle, la fey la plus insipide et ennuyante de la Terre ? En tant que Sidhe, elle se devait cependant de choisir une maison afin de tenir son rang. Elle le savait, on lui avait dit et répété depuis sa naissance même si elle n’avait jamais mis les pieds à la Faerie. Si les Unseelies étaient moins regardants sur la couleur du sang de ses sujets, elle sentait que malgré tout, les Sidhes étaient un peu à part. D’abord, parce que c’était les vieux nobles qui décidaient d’élire le roi et la majorité de ce groupuscule était encore composé de feys aux yeux trichroïtes. Ensuite, parce que certains Sidhes semblaient encore peu enclins à s’acoquiner avec d’autres races féériques. Et elle dans tout ça ? Elle avait une opinion un peu à part. Élevée en tant que Sidhe par une panoplie d’Olympien majoritairement membre de la cour Seelie aujourd’hui, elle se sentait parfois supérieure aux autres types de feys. Mais en tant que figure de la Mort... Elle ne valait pas plus que la poussière des os des défunts. Elle l’avait toujours pensée. Elle avait toujours eu cet esprit quelque peu schizophrénique avec des pensées, une vie émotionnelle et un rapport au monde discordant. Elle avait pu aimer éperdument des Sinistres et se convaincre quelque temps après qu’ils n’étaient pas assez bien pour elle ou qu’elle n’était pas assez bien pour eux.
Elle tourna en rond dans son appartement pendant presque une heure, se faisant un thé, écrivant quelques pensées sur un bloc note qui trainer, observant les fêtards qui passaient dans la rue. Persuadée qu’elle ne retrouverait plus le sommeil ce soir, elle décida de faire quelques choses : de sortir. Elle n’avait pas aucune idée d’où elle pouvait bien aller en cette heure tardive, mais elle avait besoin de prendre l’air. Respirer un grand bol d’air frais. Elle enfila une robe couleur de nuit qui avait appartenu à sa mère. En faite, elle s’était rendu compte qu’aucune robe de son dressing ne lui appartenait. Elle ne savait tout simplement pas ce qui était arrivé à ses vêtements entre la fin de la guerre contre les humains et la fin de la guerre entre les Seelies et les Unseelies. En ouvrant la porte pour sortir, Cheshire se réveilla et miaula. Il ne comprenait décidément pas ce qui se passait dans la tête de sa maitresse.
Tana-Kèr déambula quelque temps dans les rues du petit village. Lorsque le carrosse qui reliait les différents endroits de l’île passa, elle le prit. Elle n’avait aucune idée d’où il se dirigeait, mais c’était ça l’aventure, non ? L’attelage la conduisit jusqu’au Nemeton. Elle s’assit en tailleur à quelques mètres de l’immense chêne sacré et contempla sa lumière. On disait qu’autrefois il avait été encore plus lumineux ; qu’aujourd’hui, il était malade, car le peuple féérique n’avait plus sa félicité d’antan. Pourtant, elle le trouvait déjà très brillant : magnifique. Elle n’osait pas approcher cette entité féérique. Peut-être qu’au fond d’elle, elle avait peur qu’il guérisse son âme, chose qu’inconsciemment elle avait toujours refusé de faire.
Bientôt, le voile que la nuit avait jeté sur le ciel laissa place à l’aurore. L’infini bleu s’éclaircit et la voute céleste fut peinte avec différentes teintes de dorée, de blanc et d’azur. Alors que le soleil faisait son apparition, Tana-Ker décida de s’enfoncer dans la forêt féérique autour du Nemeton. Elle avait changé de couleur lors de l’éclosion du jour. Dorés, les arbres semblaient être des sculptures de métaux précieux. De véritables joyaux. La Nature, ce temple au pilier vivant… Pouvait-elle s’y aventurer ? Ne disait-on pas que les fey à l’âme noire ne pouvaient retrouver leur chemin dans ces bois ? N’était-ce pas le propre de la Mort d’avoir une âme noire ? Elle observa pendant un moment l’orée de la forêt. Elle n’arrivait pas à se décider. Si elle se perdait, qui la regretterait ? Son père nouvellement rencontré ? Qui sait ? Il en serait peut-être soulagé. Elle réussit à se convaincre que si elle avait réussi à s’approcher aussi près du Nemeton, c’est que la forêt ne devait pas la considéré comme une âme noire. Elle allait faire un pas quand un bruit derrière son dos attira son attention. Elle fit doucement volte-face se disant que le raisonnement qu’elle venait d’avoir pour sa personne tenait également pour celle qui se tenait dans son dos. S’il avait été mauvais, il ne serait pas là. Ses yeux se posèrent alors sur la silhouette de la fey mâle. Elle étudia l’intrus ; elle n’eut pas besoin de distinguer les trois couleurs de ses yeux pour savoir qu’il était un noble Sidhe. Elle n’avait jamais vu de visages aux traits aussi délicats. Ses habits étaient bien plus nobles que les siens. Elle qui pensait toujours pensait que sa mère avait des toilettes d’une grande beauté… Elle avait l’impression de porter de simple haillon face à cette fey. Elle ne sut pourquoi, mais son cœur fit un raté ce qui eut pour effet de la faire reculer, s’éloignant de quelques pas de cet individu trop beau pour être vrai. Tana s’était dit qu’en pleine forêt cela était inutile de s’entourer de son Glamour, aussi apparaissait elle sous sa nature féérique tout comme le nouveau venu. Elle voulut dire quelque chose, mais sa langue était paralysée par ce même sortilège qui avait fait déraper son palpitant. Elle avait envie de s’enfuir. Cet individu… la mettait confortablement mal à l’aise. Ce genre de chose était-il réellement possible ? Peut-être pas. Mais s’était ce que ressentait Tana-Kèr à cet instant. Elle garda le silence. Observant l’homme devant elle. N’était-ce pas lui qui avait décidé de montrer sa présence à l’ancienne divinité de la Mort grecque ? Tana était sûre, il aurait pu ne pas se faire remarquer, mais il avait décidé d’attirer son attention. C’était donc à lui de briser le silence de l’aurore.
THE SEELIE SILLY KING ∭ Dada, le serial father de la faërie.
E. Dagda Mac Lochlain
Sujet: Re: You’re no good for me Dim 25 Sep - 18:22
You’re everything for me ft. Tana-Kèr
Septembre 2016.
La nuit était douce, pareille à une amante. Marchant seul dans les bois sacré, le roi s’était échappé à ses gardes royaux, à sa cour, à ses devoirs, à sa responsabilité de tête couronnée. Le Sithin l’aidait, toujours, à tromper tout le monde. Il s’enfuyait dès qu’il le pouvait, et il venait ici, parfois, il osait s’aventurer plus loin. C’était risqué. Si les seigneurs avaient vent de ses escapades, s’ils apprenaient que leur grand roi aimait une drow, s’ils apprenaient ce qu’il faisait… Il prétendait s’éclipser pour réfléchir, pour se mêler à son peuple, avoir besoin d’être seul, sans garde, afin de savoir que dont son peuple avait besoin. Ce n’était pas un gros mensonge, il n’aimait pas ses apparats de royauté. Il avait aimé cela avant, du moins, s’y était habitué au point de ne plus savoir ce que c’était la normalité. Mais à présent que la couronne le séparait de celle qu’il aimait… Il s’éloignait dans les bois sombre, pensant n’y croiser personne, et se torturait l’esprit. La dernière fois qu’il avait réussit à parvenir à leur boîte au lettre, celle-ci s’était trouvé vide. Plus de nouvelle de son amour. Depuis plusieurs semaines. Il se torturait en se demandant si elle avait à nouveau disparue. Si elle avait fuit. Mais où ? Le monde les persécutait maintenant, les humains la tueraient s’ils la trouvaient. Elle n’avait nul part où aller. Cela le rassurait. Elle était juste quelque part. Tôt ou tard, elle ne pourrait plus lui échapper. Etrange, ce besoin possessif qu’il avait à son égard. L’amour vous rendait monstrueux. Il avait tué Morrigan par amour, par frustration, par défaite. Et Eire, il voulait la garder prisonnière. Quel genre de monstre devenait-il quand il aimait ? Ou quand il n’aimait plus.
Fixant le Nemeton, il se fustigea d’avoir ces pensées là. L’amour n’était qu’un passe temps après tout. Il aimait Eire, passionnément, mortellement, confusément, honteusement, mais ils étaient séparés. Depuis un sacré bout de temps. Le temps du bonheur était loin. Il était passé à tout jamais. Parfois il se demandait, comment il avait pu supporter, comment il supportait encore, son absence. Nuada avait tout risqué pour vivre son amour avec Morrigan, et il l’avait payé si cher. Lui n’avait prit aucun risque, il n’avait pas retourné la terre entière pour retrouver Eire. Encore aujourd’hui, cette nuit, même s’il songeait à elle, même s’il se questionnait, s’il se demandait où elle était, errant comme une âme en peine, il lui suffisait de songer à ses responsabilités, à la couronne, à cet ennemi mortel qui voulait sa mort pour se ressaisir. C’était là sa vie. Cela l’avait toujours été. La politique était plus importante que tout le reste. Il n’était pas fait pour aimer. C’était ce dont il avait finit par se convaincre au fil des millénaires. L’amour empoisonnait l’esprit, trompait la raison, et le rendait monstrueux. Il n’était pas comme les autres feys qui s’épanouissaient dans l’amour. Lui mutait comme une dangereuse créature, comme une chimère. L’amour était un poison dans ses veines. Il devait renoncer à Eire, et à son amour pour elle. Encore une fois, elle avait prit la décision pour eux deux, et l’avait fait à raison. Ils ne pouvaient s’aimer. C’était impossible et une folie.
Se soleil se levait, pareil à Danu, il brillait de tout son éclat, et embrassait le ciel de rayons mordoré. Cette beauté éclatante l’avait toujours fasciné. La nuit empoisonnait sa cervelle, faisait naître la folie, était la maîtresse des terreurs et des angoisses, mais le soleil guérissait tout, à son lever, il faisait disparaître les doutes, l’inquiétude et la souffrance. Il ferma ses paupières laissant les rayons chaleureux du soleil le pénétrer, soigner ses blessures, panser son cœur, raffermir sa volonté. Il était le roi soleil après tout, le roi des Seelies, il devait renoncer à cette folie pour la couronne. Etre roi c’était renoncer à tout le reste. Il se souvenait de cette promesse, de les protéger de tout, de juger avec raison, d’être juste, d’être entièrement à eux. Devenir roi, c’était renoncer à son identité, renoncer à sa vie, devenir un symbole, une autorité, être ce dont ils avaient besoin.
Quand il ouvrit ses yeux, ses certitudes et ses bonnes résolutions s’évanouirent devant la vision d’un être féerique. Etait-ce sa beauté pâle, son rayonnement incandescent et son aura mystérieuse ? Sa beauté envoûtante, insolente, arrogante ? son impossibilité ? Son cœur frémit. Enfin, frémit. Le mot était bien faible. Il senti son cœur se serrer comme si une force mystérieuse le compressait. Son esprit explosa en mille morceaux devant l’absolue conviction qu’elle était la seule et l’unique. Celle qui lui manquait. L’air venait à manquer, et le monde recouvrait des couleurs qu’il n’avait jamais eu. C’était comme un trip, comme un voyage ésotérique provoqué par une drogue de type LSD. Le temps se mit à ralentir. Et tout paraissait absolument limpide, clair comme de l’eau de roche, et nécessaire, vital, absolu. L’amour. Il comprenait enfin ce que c’était. Dans un vertige, dans un soupire, dans un murmure, tout se déchirait, comme si les ténèbres le quittait enfin. Il voyait clair, pour la première fois. Comment avait-il pu être aveugle aussi longtemps ? Et soudainement, l’impétuosité le saisit. Il fallait savoir, qui elle était, il fallait être à elle, qu’elle soit à lui, absolue nécessité, vital.
« Qui êtes vous divine maîtresse et où avez où été tout ce temps ? » murmura-t-il ayant une inquiétante impression d’irréalité. Le séducteur savait quels mots utiliser, comment user du langage pour exprimer ses sentiments, mais là, devant son éclatante aura, il devait admettre que les mots lui manquaient, qu’ils paraissaient bien fade pour exprimer ce qu’il ressentait. Il aurait pu lui déclamer son amour là, tout de suite, vibrant, solennel, passionné, exigeant, loyal, amoureux. Mais il ne su qu’ajouter, il ne su que dire, et pour la première fois, il hésitait, il se questionnait. C’était vertigineux, admirable, grisant, excitant, impressionnant. « Oh et puis zut, autant être franc, je suis amoureux. » avoua-t-il en l’approchant, plein d’amour, et de gaité pour la première fois depuis deux mille ans. Il était sûr de lui, sûr d’aimer, sûr de ses sentiments, sûr de tout. Parce qu’il vivait l’instant présent sans même songer un seul instant au reste, à autre chose qu’à elle, cet être unique d’une beauté fatale. « Je vous aime, assurément. » ajouta-t-il en osant prendre sa main pour y déposer un baiser. Il était le séducteur, mais il était certain de son fait, il savait ce qu’il faisait n’est-ce pas ? parce que l’amour exige de la force, parce que l’amour s’impose, parce que l’amour défini ses propres lois, son propre monde, parce que l’amour abat tous les murs y compris ceux de la raison.